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Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/13

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Paris, ce 4 août 1845.

Monsieur,

Je viens de lire l’ŒDIPE-ROI de Sophocle que vous avez mis en vers, et je ne crois pas que l’on puisse porter plus loin la fidélité de la traduction ; c’est un chef-d’œuvre de talent et de patience que d’avoir réussi à renfermer, dans notre langue si pauvre et si ingrate, la pompe et les richesses de la langue grecque. Les entraves que vous vous étiez imposées, monsieur, n’ont gêné en rien la fermeté et l’élégance de votre marche ; le lecteur, même non instruit, vous suit avec plaisir et intérêt, sans se douter qu’à tous les mérites qu’il admire, il faut en ajouter un, qu’on a au soin de lui dérober, celui de la difficulté vaincue.

Les auteurs qui s’occupent, comme moi, de littérature éphémère, doivent respect et admiration aux écrivains qui ont la conscience et le courage d’élever de pareils monuments, et je désirerais ardemment que l’Œdipe de Sophocle, ainsi traduit par vous, fût représenté, même après l’Œdipe de Voltaire, sur le Théâtre-Français ou sur celui de l’Odéon.

Les édifices qui ont près de trois mille ans de date ne doivent pas être défigurés, même par des ornements étrangers : il faut les admirer dans leur simplicité et dans leur beauté primitives ; et peut-être serait-il curieux de démontrer, de nos jours, aux partisans du progrès à tout prix, que si les arts ont marché, c’est à reculons ; que la statuaire n’a rien produit de mieux que l’Apollon du Belvédère ou le Laocoon, et que depuis trois mille ans, Sophocle avait déjà posé les limites du dramatique, de la passion véritable et du sublime !

Daignez agréer, monsieur, l’expression de mon profond dévouement.

EUGÈNE SCRIBE, de l’Académie Française.

À monsieur A. J. Becart, de Bruxelles, rue Louis-le-Grand, à PARIS.