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Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/134

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la lumière : il reçoit deux coups, rend le sang par les yeux, et traîne un reste de vie plus affreux que la mort.

C’est le destin de Jocaste et d’Œdipe figuré symboliquement. Voilà le beau côté de cette scène. Le reste ou l’assaisonnement est une peinture hideuse d’entrailles qui palpitent d’une façon extraordinaire. Ici c’est le cœur qui s’affaisse et disparaît la c’est un sang noir qui trouve de nouvelles issues : détails d’anatomie sacrée des païens, dont le seul récit ferait frémir ! L’énigme continue et l’on y peint tout au figuré jusqu’à l’inceste. Ce spectacle étant encore trop peu pour l’enthousiaste tragique, il montre Tirésias peu instruit par ce sacrifice, décidé à consulter les enfers et à évoquer les ombres. Cependant il ordonne au chœur de chanter un hymne à Bacchus, apparemment parce que ce dieu protégeait Thèbes, et le chœur ne manque pas d’obéir. Comment ne laisse-t-il pas plutôt à Créon le temps de venir rendre compte de sa mission, puisque Tirésias ne doit plus reparaître ?

ACTE III.

Après les cérémonies magiques, Créon revient et se fait beaucoup prier avant que d’en raconter longuement et froidement l’issue au roi. C’est une lutte, c’est un cliquetis de sentences dont plusieurs sont remarquables (iners malorum remedium ignmantia est) ; V. 516 ; (Ubi turpis est medicina, sanari piget) ; V. 518 ; (ODERE REGES DICTA QUÆ DICI JUBENT) ; V. 521 ; (IMPERIA SOLVIT, QUI TACET JUSSUS LOQUI) ; V. 527. La vérité de ces deux dernières maximes est mise en évidence dans la tragédie de Sophocle ; ce grand classique ne les énonce pas, mais il les fait résulter de l’action même. Œdipe demande par quelle victime on doit apaiser les Dieux. Créon se tait par crainte. Non fléchi par l’intérêt du sceptre de sa sœur, Créon s’obstine même après que le roi l’a menacé de son courroux (Les rois, dit-il, haïssent la vérité, lors même qu’ils la demandent). Souffrez que je me taise ; c’est l’unique liberté à obtenir des rois (tacere liceat : nulla libertas minor à rege petitur). Œdipe lui répond qu’un silence trop libre est souvent plus nuisible au roi et à l’État que la liberté dans les paroles. (Sæpé vel linguâ magis regi atque regno muta libertas obest.) Que reste t-il donc, dit Créon, s’il n’est pas permis de se taire ? (Ubi non licet tacere, quid cuiquam licet ?)

À la suite de ce début hérissé de sentences, comme on l’a vu suffisamment, Créon fait une description plus qu’infernale de tout ce qu’il a vu. Encore s’arrête-t-il longtemps a décrire le lieu de la magie, avant d’arriver au fait. Il y vient, mais en quels termes ? La terre s’ouvre, et que n’en sort-il pas ?… Un assez bel endroit, s’il n’était gâté par le style qui, dans Sénèque surtout, est tout l’homme et ne l’abandonne jamais, ce serait celui où l’on croit voir les ombres des rois thébains qui apparaissent à Tirésias. Laïus se montre a son tour et révèle toute l’abomination de l’hymen et du crime d’Œdipe. Mais celui-ci, qui se croit fils de Polybe, entre en fureur contre Tirésias et Créon, qu’il accuse de complot pour le détrôner. Créon s’en défend comme dans Sophocle. Mais tout cela est étranglé, sans liaison, sans goût, sans le moindre soin des transitions. Les sentences terminent la scène comme elles l’ont commencée ; et le chœur fait ses fonctions à l’ordinaire, c’est-à-dire qu’il chante des vers qui disent peu de chose.

Voici les plus remarquables des sentences dont nous venons de parler :

(Res secundæ non habent unquàm modum) ; (Dubia pro certis solent timere reges) ; (Qui pavet vanos motus, veros fatetur) ; (Odia qui nimium timet regnare nescit, regna custodit motus) ; (Qui sceptra duro sævus imperio regit, timet timentes) ; V. 694 et suivants.

ACTE IV.

Œdipe revient, non sans quelqu’effroi, sur la mort de Laïus, que le ciel et l’enfer lui imputent, quoiqu’il ne se sente point coupable : apparemment qu’il a fait ses réflexions. Il raconte donc a Jocaste l’aventure du chemin de Daulide où il avait tué un homme. Il interroge son épouse sur les circonstances du meurtre de Laïus, et il trouve qu’elles se rapportent à