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Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/28

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Et pourquoi vous voit-on, assis sur ces degrés,
Porter des suppliants les rameaux[1] consacrés ?
L’encens fume dans Thèbe, elle est toute en prières[2] ;
Elle gémit, en proie à des douleurs amères.
Ce roi, que dans la Grèce on célèbre en tous lieux[3],
Vient partager vos maux et connaître vos vœux.

  1. C’étaient des branches d’olivier entourées de laine. Les anciens Grecs portaient à la main ou sur la tête des rameaux et des bandelettes, quand
    ils allaient demander quelque faveur considérable ou aux dieux ou aux
    hommes.
  2. Les Pœans, dans Sophocle, sont des prières, des hymnes en l’honneur d’Apollon surtout et des autres divinités. Ce n’étaient pas toujours des chants d’allégresse, mais souvent, comme ici, des plaintes lugubres.
  3. Voltaire a ridiculisé à tort ce passage. Ignorant la langue grecque, comme nous avons déjà eu l’occasion de le prouver ailleurs, il a dû se fier à une mauvaise traduction, où il a lu : « Je suis Œdipe si vanté par tout le monde… »
    Il y a apparence, dit-il, que les Thébains n’ignoraient pas qu’il s’appelait Œdipe. Non, certes ; mais Voltaire ignorait l’antiquité, et faisait dire à Sophocle ce qu’il ne dit pas. Que dirait-on de celui qui reprocherait à Racine ce vers :

    Oui, c'est Agamemnon, c’est ton roi qui t’éveille !

    L’énigme seule du sphinx avait rendu Œdipe célèbre, et l’on sait d’ailleurs que les anciens, aux mœurs plus simples et plus franches qu’à notre époque de raffinement et de fausse modestie, ne faisaient aucune difficulté d’avouer que leur nom était connu, nobile.
    Virgile ne fait-il pas dire à son héros :

    Sum pius Æneas fama super œthera notus.

    Ce qui est bien plus fort que les paroles d’Œdipe.
    Il n’y a donc point d’orgueil dans ce que ce monarque dit de lui-même, comme il n’y a point de simplicité grossière dans la manière dont il se nomme, comme il n’y a rien de déplacé à faire la peinture des maux qui accablent Thèbes. Au contraire, ils font plaisir au lecteur sensible, ces sortes de développements si naturels à ceux qui sont dans le malheur.