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Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/66

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ŒDIPE.
Aussi ce qu’elle veut mon épouse fidèle

De moi l’obtient sans peine.

CRÉON.
Et par vous et ma sœur

Ne suis-je pas traité comme un égal, seigneur ?

ŒDIPE.
Ce rang fait d’autant plus briller ta perfidie.


CRÉON.
Oh ! permets devant toi que je me justifie :

De m’expliquer sur tout laisse-moi le loisir,
Comme j’ai fait. Qui donc concevrait le désir
De préférer un trône , où l’on craint et chancelle,
Où l’on ne peut compter sur un peuple infidèle,
Au sort presque royal où le plus doux repos
Donne une gloire pure, exempte de tous maux[1] ?
Tels sont mes vœux, seigneur, tels sont ceux du vrai sage[2] ;
Né sans ambition, j’aime mieux en partage
Le titre de sujet que le sceptre de roi ;
Sans alarmes, je vois mes vœux comblés par toi.
Quels seraient mes soucis, si je régnais moi-même !
Sans en avoir les soins, j’ai ton pouvoir suprême :
Tout prévient mes désirs, et chaque citoyen
Flatte et séduit mon cœur pour arriver au tien ;
Par moi seul tes faveurs souvent sont obtenues.
Sans doute il me faudrait avoir d’étroites vues,

  1. Cette morale, et par conséquent la justification de Créon, ne seraient pas reçues aujourd’hui ; mais le sceptre n’était pas alors en Grèce ce qu’il est parmi nous. Hippolyte parle de même dans la Phèdre d’Euripide. Voyez la scène V de l’acte IV. Ces deux morceaux, de deux tragiques différents et si distingués, montrent à l’évidence que cette morale était alors celle des philosophes.
  2. On trouve dans les paroles de Créon, ces maximes stoïciennes dont Cicéron parle dans ses Offices : l’honnête joint à l’utile, la vertu à l’intérêt, etc.