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Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/97

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JOCASTE.
Hélas ! prince, bannis ces craintes téméraires[1],

Néglige ces discours.

ŒDIPE.
Ils me sont nécessaires,

Car, autant qu’il se peut, je veux tout éclaircir.

JOCASTE.
Œdipe, épargne-moi le mortel déplaisir[2]

De voir mes maux, les tiens flétrissant notre vie !
Cesse un tel examen !

ŒDIPE.
Mais quelle ignominie

Peut rejaillir sur toi ? Dût même un triple affront
Par un triple esclavage éclater sur mon front[3] !

  1. Jocaste, quoique présente au dialogue entre Œdipe et le messager, avait observé jusqu’alors un profond silence, préoccupée des souvenirs qu’éveillaient en elle toujours plus vivement les révélations de l’étranger.
    La reine a l’air de ne rien savoir et de ne pas avoir pris part à la conversation. Le scoliaste suppose qu’elle avait déjà formé le projet de s’ôter la vie, avant que la vérité ne se fût dévoilée ; elle espérait peut-être ainsi soustraire son mari aux suites terribles d’une découverte. Inflexible jusqu’au dernier moment, elle s’efforce de détourner Œdipe de ses vaines recherches. Cependant la destinée s’accomplit : Œdipe persiste dans son inquiétude, et la catastrophe se prépare.
  2. Pour la première fois, la souffrance se manifeste en Jocaste, et ses paroles trahissent une profonde douleur.
  3. Ces paroles sont très-touchantes : Œdipe ne se doutant pas de ce qui se passe dans l’âme de Jocaste, et lui supposant une douleur provoquée par un sentiment de fierté, que les révélations du berger auraient pu faire naître, lui dit : « Ne crains rien, car fût-il prouvé que ma mère, mon aïeule et ma bisaïeule m’aient rendu trois fois esclave, tu n’en seras point déshonorée ! » Le mot à mot dit : Τρίδουλος τρίτης μητρός, « trois fois esclave par trois mères ! » ou par trois générations, ou trois fois bâtard.