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Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/332

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d’un père, et pour un père que celle de ses enfants ? Mais ne te persuade pas obstinément que tes avis, à l’exclusion de tout autre, soient les seuls bons et justes. Tel qui croit être seul sage, ou penser et parler mieux que personne, parait souvent dénué de sens à ceux qui l’examinent de près. Mais un homme, un sage même, n’a point à rougir d’apprendre chaque jour, et de ne pas être opiniâtre. Tu vois, auprès des ruisseaux grossis par l’orage, combien d’arbres cèdent au torrent, pour conserver leurs branches ; ceux qui résistent périssent déracinés[1]. De même, le pilote qui tient toujours sa voile tendue, sans rien céder à l’orage, voit bientôt sa barque renversée, et vogue dès lors sur des débris. Modère donc ta colère, et laisse accès à un changement de résolution. Car si, malgré ma jeunesse, j’ai quelque jugement, je dis que ce qu’il y a de mieux pour un homme, c’est d’avoir toute espèce de savoir en partage ; sinon, car d’ordinaire il n’en est pas ainsi, il est encore beau de s’instruire auprès de ceux qui savent.

LE CHOEUR.

O roi, il est juste de l’écouter, s’il ouvre un bon avis, et toi, mon fils, écoute ceux de ton père : car des deux côtés vous avez sagement parlé.

  1. Ces trois vers ont été parodiés ainsi par Antiphane, poète de la Comédie moyenne, qui en a fait l’éloge de l’ivresse. Voyez Athénée, p. 23, et Eustathe, p. 1612, 17 (Od. 14, 331) :
    Tὁ δἑ ζῆν είπέμοι τί έστι; — Τὸ πίνειν φήμ᾽ έγώ.
    ῾Όρᾶς παρἁ ρείθροισι χειμάρροις δσα
    δένδρων άεὶ τὴν νύκτα και τὴν ὴμέραν
    βρέχεται*, μέγεθος και κάλλος οία γίνεται,
    τᾲ δ᾿ άντιτείνονθ᾿ οἱονεἱ δίψαν τινά
    Καὶ ξηρασίαν σχόντ᾿ αύτόπρεμν᾿ άπόλλυται.

    A. « Dis-moi ce que c’est que vivre. — B. C’est boire, je le prétends. Tu vois, auprès des ruisseaux grossis par l’orage, combien d’arbres s’abreuvent sans cesse nuit et jour, tu vois quelle est leur croissance et leur beauté. Mais ceux qui résistent consumes par la soif et par la sécheresse, périssent déracinés.»

    *. Le mot βρέχεται signifie à la fois se mouillent et s’enivrent.