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Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/344

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assis sur le trône augural[1], dans un lieu que des oiseaux de toute espèce ont choisi pour retraite, lorsque j’entendis des sons inconnus d’oiseaux en fureur, poussant des cris barbares ; ils se déchiraient les uns les autres avec leurs serres ensanglantées ; c’est ce que je reconnus au bruit de leurs ailes. Effrayé, je me hâtai d’interroger la flamme allumée sur l’autel ; mais elle ne brillait pas sur le corps des victimes[2] ; les parties des chairs mises en ébullition s’exhalaient en fumée, ou se consumaient en cendres ; le fiel[3] éclatait dans les airs, et les cuisses tombaient dépouillées de la graisse dont on les avait enveloppées. Tels étaient les funestes présages du sacrifice, que j’apprenais de cet enfant, car il est mon guide comme je suis le guide des autres ; et ce fléau, c’est ta funeste résolution qui l’attire sur Thèbes. En effet, tous nos autels et nos foyers sacrés sont souillés des lambeaux arrachés par les oiseaux et les chiens dévorants au cadavre de l’infortuné fils d’Œdipe. Aussi, les dieux n’accueillent plus nos prières mêlées aux sacrifices, ni la flamme des victimes, et les oiseaux ne font plus entendre de chants favorables, depuis qu’ils se sont repus de la chair et du sang d’un homme égorgé. Songes-y donc, mon fils, c’est le partage de tous les hommes de faire des fautes ; mais la faute une fois faite, celui-là n’est plus insensé ni malheureux, qui après être tombé dans le mal, y applique le remède, au lieu de rester dans l’inaction. C’est la présomption opiniâtre qui encourt le reproche d’ignorance. Mais cède à la mort, et ne frappe pas un cadavre. Quelle vaillance y a t-il à tuer un mort ? C’est par intérêt pour toi que je te donne ce sage avis ; il est doux de recevoir d’un sage ami des conseils profitables.

  1. Pausanias (X, 16) mentionne à Thèbes l’οιωνοσκοπεῖον, qui portait le nom de Tirésias, espèce d’observatoire, où cet augure étudiait le vol dus oiseaux.
  2. Le présage était heureux, quand la flamme était claire et brillante ; il était malheureux si le feu noircissait et ne jetait que de la fumée.
  3. Le fiel, posé sur les os des cuisses, devait se consumer entièrement, quand le sacrifice était favorable.