Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/34

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Mais je vous assure que, si je ne suis pareil en mérite ou en beauté de corps à celui à qui vous aviez donné assignation, je lui suis pareil en désir de vous servir, et n’ai pas moins que lui d’affection pour vous.

Ces démonstrations d’amour attirèrent beaucoup d’autres entretiens à leur suite, qui furent un peu interrompus par les embrassemens dont ils goûtoient les délices tout autant de fois qu’il leur étoit possible.

Quand Laurette vit que le soleil étoit levé, se figurant que son mari ne tarderoit plus guère à revenir, elle pria Olivier de se cacher dedans le foin de l’écurie jusques à tant que, le pont-levis étant abaissé, il eut le moyen de s’en aller. Après qu’il lui eut dit adieu et qu’il lui eut donné une infinité d’assurances de se souvenir toujours d’elle, il s’accorda à se mettre en tel endroit qu’elle voulut, et la laissa retourner en sa chambre, où elle s’enferma, en attendant le succès de l’aventure de Catherine.

Il étoit, ce jour-là, dimanche, et trois jeunes rustres du village s’étoient levés du matin pour aller à la première messe, et de là à un bourg prochain, défier à la longue paume[1] les meilleurs joueurs du lieu. Le curé ne fut pas assez matineux à leur gré. En attendant qu’il fut sorti du presbytère, ils s’en allèrent promener à l’entour du château, où ils aperçurent aussitôt le voleur se tenant d’une main à l’échelle de corde et de l’autre à la grille de fer. Ils virent aussi Catherine toute découverte jusques au-dessus du nombril, et la prirent pour un hermaphrodite. Ils s’éclatèrent de rire si fort, que tout le village en retentit ; de sorte que le curé, en boutonnant encore son pourpoint, sortit pour voir ce qui leur étoit arrivé de plaisant. Leur émotion étoit si grande, qu’ils ne se pouvoient presque plus soutenir, et ne faisoient autre chose que joindre les mains, que se courber le corps en cent postures, et se heurter l’un contre l’autre, comme s’ils n’eussent pas été bien sages. Leur bon pasteur, ne jetant les yeux que sur eux, ne voyoit pas la cause de leurs risées, et ne cessoit de la leur demander, sans pouvoir tirer de réponse d’eux, car il leur étoit impossible de parler, tant ils étoient saisis d’allégresse. Enfin le curé, en tirant un par le bras, lui dit : Eh ! viens ça, Pierrot ; ne veux-tu pas me conter ce que tu as à rire ? Alors

  1. La longue paume se dit quand on joue à ce jeu dans une grande salle, ou campagne qui n’est point fermée. (Dict. de Trévoux.)