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Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/98

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sans rire, je vous en prie, parce que, si vous en riez, vous m’émouvrez par aventure à faire le même, et cela fera du mal à ma tête qui ne se porte pas trop bien.

Ah ! mon Dieu, tous me tuez de vous arrêter, tant j’ai hâte de savoir vos imaginaires aventures, dit le gentilhomme ; continuez, je me mordrai plutôt les lèvres, quand vous direz quelque chose de plaisant. Eh bien ! vous vous trouvâtes dans le ciel, y faisoit-il beau ?

Voilà une belle demande, répondit Francion, comment est-ce qu’il y feroit laid, vu que c’est là qu’est le siège de la lumière et l’assemblage des plus vives couleurs ?

Je reconnus que j’y étois, à voir les astres, qui reluisent aussi bien par-dessus que par-dessous, afin d’éclairer en ces voûtes. Ils sont tous attachés avec des boucles d’or, et je vis de belles dames, qui me semblèrent des déesses, lesquelles en vinrent défaire quelques-uns, qu’elles lièrent au bout d’une baguette d’argent, afin de se conduire en allant vers le quartier de la lune, parce que le chemin étoit obscur en l’absence du soleil, qui étoit autre part. Je pensai alors que de cette coutume de déplacer ainsi les étoiles provient que les hommes en voient quelquefois aller d’un lieu à l’autre.

Je suivois mes bonnes déesses, comme mes guides, lorsqu’une d’elles, se retournant, m’aperçut et me montra à ses compagnes, qui toutes vinrent me bien-veigner[1], et me faire des caresses si grandes, que j’en étois honteux. Mais, les mauvaises, elles ne firent guère durer ce bon traitement ; et, comme elles songeoient quel supplice rigoureux elles me feroient souffrir, la plus petite de leur bande commença à rendre son corps si grand, que de la tête elle touchoit à la voûte d’un ciel qui étoit au-dessus, et me donna un tel coup de pied, que je roulai en un moment plus de six fois tout à l’entour du monde, ne me pouvant arrêter, d’autant que le plancher est si rond et uni, que je glissois toujours ; et puis, comme vous pouvez savoir, il n’y a ni haut ni bas ; et, étant du côté de nos antipodes, l’on n’est non plus renversé qu’ici. À la fin, ce fut une ornière que le chariot du soleil avoit cavée qui m’arrêta, et celui qui pansoit ses chevaux, étant là auprès, m’aida à me relever, et me donna des enseignes,

  1. Faire bon accueil.