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HISTOIRE DU PARNASSE

Baudelaire manque-t-il de cette autorité qui est à base d’affection. Sauf cela, il pourrait agir sur les jeunes, puisque, en matière de théories critiques, il a un certain nombre de points communs avec eux : ainsi le dédain de Musset et surtout de ses disciples, de cette jeunesse débraillée qui le suit, imitant les pires côtés de son maître : « j’ignore comment elle est née, dit-il dans la Revue fantaisiste. D’elle-même sans doute, spontanément, comme les infiniment petits dans une carafe putride ». Cette jeunesse réaliste croit que les fanfaronades de paresse de Musset sont la source de son talent : « de son absolue confiance dans le génie et l’inspiration, elle tire le droit de ne se soumettre à aucune gymnastique. Elle ignore que le génie doit, comme le saltimbanque apprenti, risquer de se rompre mille fois les os en secret avant de danser devant le public ; que l’inspiration en un mot est la récompense de l’exercice quotidien[1] ». Voilà qui est déjà bien parnassien. Baudelaire a encore un certain nombre des intransigeances de l’École, et les étale dans une lettre à Jules Janin : celui-ci, dans l’Indépendance Belge, du n février 1865, avait développé quelques thèses malsonnantes à une oreille d’artiste : « je serais curieux de savoir, riposte Baudelaire, si vous êtes sûr que Béranger soit un poète (je croyais qu’on n’osait plus parler de cet homme) ; …si vous êtes bien sûr que Delphine Gay soit un poète ; si vous croyez que le langoureux de Musset soit un bon poète ». Surtout, Jules Janin s’étant permis de discuter Henri Heine qui a toutes les sympathies de Baudelaire, celui-ci se fâche, et tire à plein collier en sens inverse : « Quant à toutes les petites polissonneries françaises comparées à la poésie d’Henri Heine, cela fait l’effet d’une serinette ou d’une épinette comparée à un puissant orchestre… Si je voulais pleinement soulager la colère que vous avez mise en moi, je vous écrirais cinquante pages au moins, et je vous prouverais que, contrairement à votre thèse, notre pauvre France n’a que fort peu de poètes, et qu’elle n’en a pas un seul à opposer à Henri Heine[2] ». Cela doit plaire aux Parnassiens, puisque Th. Gautier a mis à la mode chez eux l’admiration pour Heine ; mais d’autre part, il doit leur déplaire que cet enthousiasme chez Baudelaire ne soit qu’une palinodie : on n’avait pas oublié son article sur l’Ecole Païenne, et cette assertion qu’on tombe dans

  1. Œuvres, III, 433.
  2. P. p. Henri Cordier, Bulletin du Bibliophile, 1901, p. 567-569.