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À CÔTÉ DU PARNASSE

ville de son orthodoxie intransigeante dans le culte de V. Hugo[1] .

Son lyrisme les laisse froids, parce qu’ils ne sont pas lyriques ; sa poésie joyeuse les froisse, parce qu’ils ont un pessimisme hautain. Si Baudelaire a raison de dire que les vers de Banville rappellent les belles heures de la vie, « c’est-à-dire les heures où l’on se sent heureux de penser et de vivre[2]  », les Parnassiens estiment qu’il faut laisser à la chanson ces inspirations-là, et que la musique gaie n’est pas de la musique. Ils veulent que la poésie filtre lentement dans l’imagination de l’écrivain, comme l’eau des sources glaciales dans le sol, et qu’elle ne reflète pas la figure du poète.

Ce qui semblait tout à l’heure rapprocher Banville du Parnasse est justement ce qui prouve qu’il y a entre les parnassiens et lui des ressemblances fugitives, superficielles, et des différences essentielles. Les vers pseudo-grecs de Théodore de Banville sont une parodie de l’hellénisme parnassien. Il a beau s’appuyer plusieurs fois sur l’autorité du spécialiste de l’École, Ménard, les compliments qu’il lui décoche prouvent simplement qu’il n’a rien compris aux Rêveries d’un païen mystique : « les savants mythographes modernes (entre autres Louis Ménard) nous ont démontré que notre religion de pardon et d’amour s’accorde avec les religions helléniques[3] ». Couronné de lierre artificiel, Banville fait une libation de champagne en l’honneur du catholicisme. Aimable candeur ! S’il avait eu à traiter le sujet des Noces Corinthiennes, il n’eût pas, comme A. France, dressé le paganisme et la religion chrétienne l’une contre l’autre, il les eût mariés.

On est confondu par la pauvreté de ses pièces grecques, quand on les examine en détail. Pour rendre des vers célèbres, il trouve des paraphrases à la Delille. Le vers dont la beauté faisait rêver Loti au collège,


bê d’akéôn para thina poluphloïsboïo thalassés


se dissout en quatre vers :


Le père avec horreur tordant sa barbe blanche
S’en est allé gémir sur le bord de la mer.
Dans l’abîme grondant il verse un fleuve amer,
Et marche, déchiré par sa grandeur sans bornes[4] .


  1. J. Charpentier, Th. de Banville, p. 109.
  2. L’Art Romantique, p. 368-369 ; Œuvres posthumes, p. 83.
  3. Préface du Sang de la Coupe, dans Les Cariatides, p. 280-281.
  4. Les Exilés, p. 113.