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HISTOIRE DU PARNASSE

Mallarmé admire, séduit par l’amitié qui les lie[1]. Il dogmatise sur les mérites de Banville, dans ses réceptions intimes[2]. Il en fait le public éloge dans ses Divagations. C’est « un poète, le plus superbement français,… un être à part, supérieur, et buvant tout seul à une source occulte et éternelle[3] ». Il finit par lui décerner une apothéose, assez claire moyennant quelques coupures : « Théodore de Banville… n’est pas quelqu’un, mais le son même de la lyre. Avec lui je sens la poésie m’enivrer…, et bois à la fontaine du lyrisme… Institue, ô mon songe, la cérémonie d’un triomphe à évoquer aux heures de splendeur et de féerie, et l’appelle la Fête du Poète : l’élu est cet homme au nom prédestiné, harmonieux comme un poème, et charmant comme un décor. Dans l’empyrée, il siège sur un trône d’ivoire, couvert de la pourpre que lui a droit de porter… La grande lyre s’extasie dans ses mains[4] ». Il convenait de citer ce témoignage favorable, après tant de sévérités. Mais Mallarmé et Verlaine, tout en ayant passé par le Parnasse, ne le représentent pas, et ne peuvent parler en son nom. Que pensent donc les vrais parnassiens ? Ils aiment Banville, parce qu’il est bon, d’une bonté rare partout et surtout dans leur monde[5]. Sa bonté est reconnue par tous[6]. Il aime ceux qu’il aime au point de ne pas se brouiller avec son ami Baudelaire pour une question de femme[7]. Pour complaire à Mme Aupick, il accepte d’aller, à la maison de santé du Dr Duval, voir cette chose horrible, Baudelaire paralysé et ramolli[8]. Après la mort du malheureux poète, Banville s’occupe de sa mémoire ; le dévouement avec lequel il publie sa correspondance émerveille la pauvre mère : « M. de Banville… s’est conduit comme un Dieu[9] ! » Il n’a aucune jalousie littéraire ; il a pour les succès des autres une admiration généreuse, et non les formules protocolaires, chaudes à la surface, glaciales au fond : il écrit à l’auteur de L’Éducation Sentimentale : « mon cher ami, je m’empresse de vous exprimer tout mon enthousiasme pour votre livre. Avant que vous m’eussiez donné la grande joie de le recevoir de vous, je

  1. Siciliano, Dal Romantidsmo, p. 442, note.
  2. Fontainas, Revue de France, 15 septembre 1927, p. 334.
  3. Divagations, p. 226, 230.
  4. Ibid., p. 118-119.
  5. Il n’a fait dans toute sa vie qu’une « rosserie » ; cf. Berthelot, Louis Ménard, p. 10-11.
  6. Sauf par M. Ernest Charles, Théâtre des Poètes, p. 28.
  7. Crépet, Baudelaire, p. 313.
  8. Mercure de France, Ier septembre 1917, p. 37.
  9. Ibid., 16 septembre 1912, p. 234, note.