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À CÔTÉ DU PARNASSE

l’avais déjà lu avec l’admiration que j’ai pour votre génie toujours grandissant… Tout est vrai jusque dans la moelle des os, et exprimé dans une forme immortelle[1] ». Traduisant les sentiments du groupe parnassien, Gabriel Vicaire a rendu hommage à cette exquise cordialité : « il était moins auguste que V. Hugo, moins sévère que Leconte de Lisle. Il les surpassait en bienveillance. Sa bonté était infinie. Et n’en doutez pas, les plus hautes facultés humaines, le génie même, sont moins rares que la parfaite bonté[2] ». Vicaire a raison : Banville est moins sévère que Leconte de Lisle, et voilà encore une de ses infériorités : il est trop bon pour pouvoir régenter le Parnasse ; il n’a pas la rudesse intelligente qui sait repousser les brebis galeuses : il se laisse amadouer par une dédicace de Rimbaud, et par une lettre machiavélique où le collégien retors s’écrie : « J’aimerai toujours le vers de Banville[3] ». Quand il se trouve en présence de l’inquiétant jeune homme, il n’a pas pour lui une répulsion immédiate et libératrice. Il loue pour lui dans sa propre maison une mansarde, et la meuble très bien ; mais, dit Mallarmé, « à l’heure où la cour interne unit, par l’arôme, les dîners », il entend des clameurs à tous les étages, et regarde : Rimbaud, nu comme ver, est en train de jeter ses vêtements par la fenêtre. Banville monte, s’informe : « C’est, répond Rimbaud, que je ne puis fréquenter une chambre si propre, virginale, avec mes vieux habits criblés de poux[4] ». Un autre eût appelé la police : Banville nippe à nouveau le garnement, et l’invite à dîner. Il a pour la Sainte-Bohème un culte malheureux[5]. Par sa faute, le Parnasse est, pendant quelque temps, encombré d’un compagnon douteux, qui joue du couteau quand il est en colère, et dont on a beaucoup de peine à se débarrasser. Par contre, pour une fois où Banville éprouve le besoin de faire de l’autorité et se fâche tout rouge, sa colère tombe sur l’exquis Samain, qui bat en retraite et disparaît[6].

Ce n’est pas un vrai chef : aussi on l’aime bien, même après sa mort. Sully Prudhomme, pressenti pour le comité du monument Banville, s’empresse d’accepter la place que lui offre Coppée : « je m’associe à un témoignage que je suis trop heureux de donner

  1. P. p. Albalat, Flaubert et ses amis, p. 153.
  2. Adolphe Brisson, Le Temps du 22 mai 1897.
  3. Monda et Montel, Bulletin du Bibliophile, 1927, p. 87.
  4. Mallarmé, Divagations, p. 85-86.
  5. Odes funambulesques, p. 171-174.
  6. Léon Bocquet, Albert Samain, p. 34-35.