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À CÔTÉ DU PARNASSE

cet aphorisme de Voltaire : « tout ce que le poète dit en vers doit pouvoir être sans hésitation traduit en dessin par le peintre ». Leconte de Lisle approuve : « c’est un mot de poète. La poésie ne vit que d’images, et, sans la plastique, il n’y a pas à proprement parler d’images[1] ». Pour tout le reste, leurs idées sont aux antipodes les unes des autres, surtout les idées générales. L’un écrit Les Montreurs, l’autre dédie à Méry une odelette où il rappelle les acrobaties de Mme Saqui :


Tel est le sort du poète…
… Sylphe au ventre changeant,
Couvert d’écailles d’argent,
Il se penche vers la place
Du haut des cieux irisés,
Pour envoyer des baisers
À la vile populace[2].


Cette opposition d’idées ne produit pas le même effet sur les deux rivaux : Banville reste poli, aimable, prévenant même ; dans sa Lanterne Magique, il fait passer un portrait physique de Leconte de Lisle, presque flatté[3] ; quand il parle de son talent, il le met à égalité avec Gautier[4]. En réponse à ces amabilités, L. de Lisle témoigne à Théodore de Banville une sympathie toute protocolaire : il loue son habileté de virtuose, mais déclare son art factice et superficiel[5]. De Lisle a des mots durs ; il définit les Idylles Prussiennes, qui avaient paru pendant le siège dans Le Charivari : « un petit tas de petites choses[6] ». Surtout, il a de la mission du poète une tout autre idée que Banville : après Gringoire il ne dissimule pas sa colère contre cette idée de rabaisser toute la poésie devant le public, en ravalant le poète devant Louis XI qui l’humilie sous son impertinente générosité. Quelqu’un l’entend grommeler : « Le malheureux ! N’avoir su peindre qu’un mendiant[7] ! » L’entourage de Leconte de Lisle renchérit sur cette sévérité. On blâme le poète d’avoir écrit un épithalame pour le mariage de l’Empereur ; Banville essaye de se défendre : il prétend avoir fait

  1. Lettre publiée par Paul Labbé dans La Revue Normande, mai 1923, p. 126 ; Banville, Critiques, préface de Barrucand, p. xx-xxi.
  2. Stalactites, p. 133.
  3. La Lanterne magique, p. 327-328.
  4. Critiques, p. 128.
  5. Calmettes, Leconte de Lisle, p. 311.
  6. Ibrovac, p 566.
  7. Calmettes, p. 37.