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HISTOIRE DU PARNASSE

à sa chère mémoire[1] ». Mais, de son vivant, on se familiarise très vite avec lui ; on l’aime, on ne le respecte pas. Lorédan Larchey décrit, en bouffonnant, « cette bonne physionomie d’aspect un peu bourbonien et aussi un peu lunaire, tout à fait imberbe et pâle, mais éclairée par deux yeux pétillants d’une douce malice, une sorte de Gilles de race ancienne[2] ». Toujours le clown ! Son nom lui va mal, tant il est solennel ; aussi, dans l’intimité, les jeunes l’appellent-ils, plus simplement, Théo de Ban, ou, comme Coppée, Théoville de Bandore[3]. Il manque -décidément de prestige. Ce n’est pas un maître, c’est un amuseur et un brave homme. À l’adage connu — le Français veut du sérieux dans son prince — ajoutons : surtout dans le prince des poètes. Banville n’est pas sérieux. On va chez lui, on savoure ses dîners, on admire ses improvisations, mais on ne peut pas le vénérer. Il a beau enlever sa perruque, son rouge et son blanc, redevenir un homme, et le meilleur des hommes : on ne demande pas à un clown débarbouillé des leçons d’art ; ou, pour emprunter à Verhaeren une comparaison plus respectueuse, on peut admirer le décor de la féerie banvillesque, trouver joyeux et exquis ses principaux héros, Arlequin, Colombine, Pierrot : « malheureusement ce n’est qu’à mi-eôte du Parnasse que ces personnages évoluent ; ce n’est qu’à mi-côte de l’idéal séjour que ces fêtes de fraîcheur se déploient. Les grandes cimes les dominent[4] ». Par-dessus l’épaule de Banville, les Parnassiens regardent Leconte de Lisle.

§ 4. — Ses rapports avec Leconte de Lisle

La question de leurs relations est intéressante parce que c’est une partie de l’histoire littéraire du Parnasse. On a parlé de leur amitié : c’est une simple erreur[5]. On a dit aussi que leurs rapports ont toujours été très bons : c’est une exagération[6]. La vérité c’est que les deux poètes étaient en complète opposition. Ils ne sont d’accord que sur un point : Banville cite comme parole d’évangile

  1. P. p. Jean Monval, Correspondant du 25 septembre 1927.
  2. L’Impeccable Banville, dans le Bulletin du Bibliophile, 1901, p. 515 ; cf. M. Dreyfous, Ce que je tiens à dire, p. 212-213.
  3. {{sc|Charpentier}, Th. de Banville, p. 88 ; cf. Louis {{sc|Fouché}, dans le Figaro, supplément littéraire du 2 juin 1923.
  4. Impressions, p. 60.
  5. Marc de {{sc|Montifaud}, Les Romantiques, p. 115.
  6. {{sc|Siciliano}, Dal Romanticismo, p. 439 ; cf. {{sc|Calmettes}, Leconte de Lisle, p. 313.