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HISTOIRE DU PARNASSE

Il aime la poésie saine[1]. Celui qui a écrit Les Exilés était un grand poète. S’il a fait trop de cabrioles de clown, il a donné aussi des choses exquises. Il avait la fantaisie, la grâce, la gaîté, l’esprit. Même ses Odes Funambulesques, qui agacent à première lecture, finissent par plaire : cela paraît d’abord « farce », puis drôle, puis spirituel, et on s’amuse tout en admirant. Il y a là de quoi charmer ceux qui demandent à la poésie un simple divertissement. Vers 1866, dit l’un de ses historiographes, des jeunes l’entourent, et l’admirent[2]. Ces sectateurs ne sont pas toujours des élèves, ainsi Mallarmé[3]. Et puis, Banville ne tient pas à enseigner : il exècre les professeurs[4]. Il renvoie Pierre Dupont, qui vient lui demander des leçons[5]. Tout de même, il a la grande qualité des professeurs : il aime la jeunesse. Dès 1846, dans le Sang de la Coupe, il lui fait appel :


Vous en qui je salue une nouvelle aurore,
        Vous tous qui m’aimerez,
Jeunes hommes des temps qui ne sont pas encore
        Ô bataillons sacrés[6] !


Comment les repousser, quand, quinze ans après, ils répondent à cet appel ? Ils viennent à lui ; il ne les repousse plus. Etaient-ils innombrables, comme le dit Raoul Rosière[7] ? Jules Tellier n’en trouve que cinq[8]. On peut aller jusqu’à la demi-douzaine, jusqu’à sept même, s’il faut y comprendre Raoul Ponchon[9]. Deux tiennent la tête, et méritent une étude à part : Armand Silvestre et Glatigny. Gabriel Vicaire en est, non par son talent, qui est original, mais par sa reconnaissance. Banville a été pour lui un patron plutôt qu’un guide. Vicaire écrit à Coppée, avec une certaine ardeur : « Banville, le brave et honnête Banville, mon maître, qui m’a encouragé ! ! Quelle bonté, quelle indulgence !… Je n’ai pas oublié combien il a été bon pour moi… Notre cher Banville est avec vous le seul qui m’ait accueilli sincèrement, sans pose et sans fausse grimace[10] ».

  1. Lettre à Gobineau, dans la Revue de Littiraiure comparée, juillet 1923, p. 466.
  2. J. Charpentier, Th. de Banville, p. 88.
  3. Critiques, préface de Barrucand, p. v-vi.
  4. Critiques, p. 119, 122.
  5. Critiques, p. 132.
  6. Les Cariatides, p. 340.
  7. Revue Bleue du 24 novembre 1894, p. 641, 645.
  8. Nos Poètes, p. 22.
  9. Huret, Enquête, p. 374.
  10. Correspondant du 25 novembre 1925, p. 594, 595.