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À CÔTÉ DU PARNASSE

Laurent Tailhade est aussi de la bande[1], comme Robert de la Villehervé[2]. Enfin, Swinburne prouve qu’il n’était pas seulement l’admirateur de Banville, mais encore son élève reconnaissant, puisqu’il a dédié à sa mémoire le sonnet dont nous avons déjà cité les deux tercets :


La plus douce des voix qui vibraient sous le ciel
Se tait ; les rossignols ailés pleurent leur frère
Qui s’envole au-dessus de l’âpre et sombre terre,
Ne lui laissant plus voir que l’être essentiel,

Esprit qui chante et rit, fleur d’une âme sans fiel.
L’ombre élyséenne où la nuit n’est que lumière,
Revoit, tout revêtu de splendeur douce et fière,
Mélicerte, poète à la bouche de miel[3].


Avoir enseigné la métrique française à un poète anglais n’est pas banal. Pourtant, on désirerait, pour relever une dernière fois Banville, allonger un peu la liste de ses disciples[4]. On voudrait croire que c’est à son école qu’Edmond Rostand a appris à faire danser les rythmes et les rimes. À la fin d’un article remarqué sur l’auteur de Chantecler, nous lisions cette fine remarque : « ici le vers devient à lui-même sa propre fin : le rire ne naît plus tant de l’idée qu’il cadence ou qu’il claironne, que de ses propres gambades, de ses dislocations, de ses allitérations, et surtout de ses rimes cocasses[5] ». En écrivant cela, M. Richardot ne pensait certes pas à Banville, et pourtant ce jugement va comme un gant à l’auteur des Odes Funambulesques. E. Rostand ferait donc bonne figure sur la courte liste des écoliers de Banville. Qu’elle est faible à côté de celle de Leconte de Lisle ! En somme, que lui a-t-il donc manqué, à Banville, à lui dont on a voulu faire le chef du Parnasse ? Un maître. Si, au lieu de naître en 1823, il eût été de la génération de 1842, Heredia, Coppée, etc., il eût été comme eux l’élève de Leconte de Lisle : à cette dure discipline, il eût appris à faire labourer son Pégase, au lieu de le laisser s’emballer, et la récolte eût été splendide.

  1. Cf. Louis Thomas, Les Nouvelles littéraires du 10 décembre 1927, p. 6 ; Léo Larguier ibid., p. 9 ; Rivaroli, p. 168.
  2. Œuvres de Robert de la Villehervé, tome Ier, avertissement ; cf. Jules Tellier, Nos Poètes, p. 162-170.
  3. Supplément littéraire du Figaro, 5 novembre 1927.
  4. On pourrait y ajouter les prosateurs qui l’admirent pour sa virtuosité, comme Barrès ; cf. Henri de Régnier, Revue de France, 15 septembre 1928, p. 357.
  5. Richardot, R. D. D. M., Ier décembre 1927.