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HISTOIRE DU PARNASSE

CHAPITRE II
Armand Silvestre

Du reste, à quoi bon des hypothèses ? Ne tenons compte que des faits. Le fait est que seuls Silvestre et Glatigny peuvent se réclamer de lui. Le premier a avoué, célébré cette influence, mais cela ne suffit pas, car il faut se défier du témoignage de Silvestre : il est capable d’affirmer qu’il n’a jamais mis les pieds chez V. Hugo, qu’il n’a pas assisté à la veillée nocturne près du corps du Poète, puis, à douze pages de distance, il raconte qu’il l’a veillé jusqu’à l’aube[1].

Son excuse, c’est qu’il est avant tout homme d’imagination, poète par la naissance, en proie au démon de la poésie[2] ; écrivant des vers comme d’autres respirent, et pourtant dominant cette fougue, l’astreignant à une discipline raisonnée, cherchant jusque chez les classiques le secret de la poésie, le trouvant chez Racine, goûtant « le charme limpide du vers Racinien, cette sérénité douce des mots qui semblent emportés par une onde[3] » ; puis, demandant à Émile Deschamps les procédés du vers moderne, apprenant de lui « le catéchisme de l’art », frappé par cette formule du vieux romantique : « la forme n’est rien, mais rien n’est sans la forme[4] ». À cette école, il avait appris encore « que la rime était la règle suprême de notre poésie…, que la rime n’était jamais assez riche…, qu’il fallait être, en art, bon ouvrier avant tout[5] ». Il avait ensuite trouvé, chez Gautier, cet idéal réalisé. Il savait par cœur les Émaux et Camées : dans son voyage en Russie, visitant au château de Peterhof la grande salle de gala toute blanche, il entend aussitôt la Symphonie en blanc majeur chanter à son oreille[6].

Ces différentes « caravanes » l’amènent jusqu’à Banville, d’abord son maître, puis vite son ami : c’est Banville qui trace du bel Armand le portrait le plus flatté que nous en ayons[7] ; à charge de revanche :

  1. Portraits et Souvenirs, p. 329.
  2. Bergerat, Souvenirs, II, 35.
  3. Portraits, p. 113-114.
  4. Portraits, p. 126 ; cf. H. Girard, Un Bourgeois dilettante, p. 502.
  5. Portraits, p. 155.
  6. La Russie, p. 63-64.
  7. La Lanterne magique, p. 372-373.