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HISTOIRE DU PARNASSE

autre idéal, c’est là toute l’œuvre d’Armand Silvestre[1] ». Mendès est très indulgent. On n’a pas besoin d’être un moraliste morose pour se détourner d’une poésie que l’auteur lui-même définit ainsi : ses vers ne sont pas des abeilles,


Ce sont les cantharides vertes.


Il pense donc qu’il n’aura pas perdu son temps, ni son effort poétique,


S’ils sont le fouet qui tourmente
La chair inhabile au plaisir ;
Si l’amant les dit à l’amante
Pour aiguillonner son désir[2].


Dans le domaine des arts plastiques, à quoi cela correspond-il ? Aux éventails du marquis de Priola, ou aux cartes postales spéciales. Ces vers restent infectés de sensualité, même quand l’auteur fait effort vers la pureté : son Immaculata Virgo est un mélange désagréable, répugnant, de mysticisme, de paganisme et d’érotisme[3]. Sa punition, c’est qu’il ne retrouve plus sa force quand il veut écrire des « rimes viriles » sur la patrie guerroyante et vaincue[4]. C’est le châtiment des talents galvaudés de ne plus pouvoir se relever jusqu’à la vertu artistique. Il faut qu’il remonte jusqu’à sa jeunesse pour retrouver la fraîcheur de son inspiration. C’est ainsi qu’il écrit pour Mme Bartet une trentaine de sonnets : celui-ci notamment se détache en une pureté lumineuse :

La Source


Je sais, dans un repli bleu de mes Pyrénées,
Près du bourg ancestral au toit silencieux,’
Une source qui chante en regardant les cieux,
Et que je vais revoir au déclin des années.

Ma jeunesse, ignorante encor des destinées,
Y redit son chant clair comme au temps des aïeux ;
Ma jeunesse y sourit, dans son regard joyeux,
À d’invisibles fleurs que nul vent n’a fanées.

C’est elle que j’entends sitôt que je vous vois,
Elle qui m’apparaît quand j’entends votre voix ;
Votre voix et vos yeux ont seuls le même charme[5]


  1. La Légende du Parnasse, p. 298.
  2. La Chanson des Heures, p. 117-118 ; cf. p. 154-155.
  3. La Chanson des Heures, p. 38-39.
  4. Ibid., p. 23.
  5. Adolphe Brisson, Le Temps du 23 octobre 1897.