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À CÔTÉ DU PARNASSE

Il aurait fait probablement un peu moins de sonnets « païens » et un peu plus de ces poésies où l’on retrouve la pureté artistique de La Source d’Ingres, s’il avait quitté Banville, maître trop indulgent, pour entrer plus vite au Parnasse. Il en a certaines idées ; il en épouse la doctrine, et la formule même très bien : « c’est une belle erreur de croire que la pensée n’a pas sa pratique matérielle, comme la peinture, comme la sculpture… La poésie ne mériterait pas d’être appelée un art sans cela. Qui dit art dit la lutte contre la matière rebelle, le dur travail qui se fait aux, flancs du marbre ou du diamant, dans un corps dur qui résiste. Les mots ne sont pas autre chose[1] ». L’École lui fait bon accueil. Heredia est amical ; Silvestre lui adresse un sonnet à la manière de… Heredia, et trouve même que leurs talents sont frères :


Mêlant de nos esprits la jumelle clarté[2].


Pourtant il ne figure pas au premier Parnasse, mais au second[3]. Il a bien attrapé le genre de l’École ; il y a dans un de ses envois, La Gloire du Souvenir, de beaux vers, très parnassiens :


Sidérale blancheur du front pur qui vers moi
Pencha du firmament la lumière sacrée,
Vision tout entière en mon cœur demeurée,
L’impérissable orgueil de mon cœur vient de toi.


La pièce ne manque ni de souffle, ni de puissante beauté, dédiée à l’amie qui l’a quitté ; rupture dont il saigne encore, pour expier sa faute :


Dans ma poitrine ouverte, argile sacrilège,
J’avais senti passer l’âme errante des Cieux,
Portant comme un parfum jusqu’à tes pieds de neige
L’immense amour qui fait l’azur silencieux,

Qui fait la Mer pensive, et tristes les Étoiles,
Dans l’air vibrant du soir que bat son aile en feu,
Qui fait la Nuit sacrée, et sème ses longs voiles
D’astres brûlants tombés des paupières d’un Dieu !


Mais il y a ensuite six sonnets païens, d’inspiration sensuelle. À force de vivre charnellement, et d’écrire des vers charnels, Silvestre perd le sens de la mesure, de la modération, du goût. Il dépasse la note juste ; il cherche la force dans l’outrance. Ainsi,

  1. Portraits, p. 126.
  2. La Chanson des Heures, p. 185.
  3. Il a dû être évincé du premier par quelque rancune ; cf. Laurent Tailhade, Quelques fantômes, p. 170.