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À CÔTÉ DU PARNASSE

quelques intrigues simultanées, il accumule les histoires grasses[1]. Ses amis lui reprochent de gâcher sa carrière au Ministère des Finances[2]. Ils ne pensent pas que, chose plus grave, il perd son mérite de poète. Ses contes sont scatologiques, dit Jules Lemaître[3]. Laurent Tailhade, dégoûté, lui reproche de « mener aux latrines la Muse de Tibulle et d’Horace[4] ». Silvestre s’aperçoit à la fin qu’il a usé son talent : devant quelques amis, il dit, dans un moment de clairvoyance : « j’ai rêvé, dans ma jeunesse, d’être un Alfred de Musset. À présent, je ne suis pas bien certain d’être même un Paul de Kock[5] ». Il se tue lentement. Laurent Tailhade qui a été présenté par lui aux parnassiens, et qui assiste à leur Dîner de l’Homme qui bêche, voit au dessert son ami devenir silencieux, dodeliner de la tête, et s’endormir, « le nez dans son assiette, flappi[6] ». Quelques parnassiens lui restent indulgents. Mendès, dans La Maison de la Vieille, en fait, sous le nom de Fernand Sylvain, un éloge dithyrambique, sans une réserve ; mais c’est bien fâcheux pour Silvestre de voir son éloge traîner dans un pareil pamphlet[7]. Elle est bien compromettante encore, l’indulgence que Mendès témoigne dans son Rapport, « à ces contes excessifs, — allons, eh bien, — oui, crépitants[8] ». Mendès absout Silvestre, au nom de qui, ou de quoi ? Matalobos se portant garant pour Zafari ! Heureusement pour l’auteur des sonnets païens, il est protégé devant la postérité par deux répondants sérieux : Frédéric Plessis l’admire à plein cœur. Heredia, qui est très bon, dédie, dans le Parnasse de 1876, La Vie des Morts à « Armand S. » ; il reproduit la pièce dans Les Trophées, en hommage « au poète Armand Silvestre » ; c’est brave, car Leconte de Lisle vit encore, et ne plaisante pas sur le respect que le talent se doit à lui-même ; il est écœuré par ces chroniques « flatueuses » ; il définit Silvestre : un poète pétulant[9]. Dans l’entourage du Maître on trouve fâcheux qu’un poète gagne de soixante-dix à quatre-vingt mille francs par an à faire de la copie indécente. Villiers de l’Isle-Adam ne le désigne plus que par une périphrase : l’Homère

  1. Laurent Tailhade, Quelques fantômes, p. 150-151, 153.
  2. Brisson, Le Temps du 23 octobre 1897.
  3. Revue Bleue du 7 février 1885.
  4. Les Commérages de Tybalt, p. 242.
  5. Id., ibid., p. 189.
  6. Id., ibid., p. 151-153.
  7. La Maison de la Vieille, p. 355.
  8. Rapport, p. 134-135.
  9. Welschinger, Débats du 16 août 1910.