Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
90
HISTOIRE DU PARNASSE

dans son sonnet final, « Souvenir des Girondins », il exagère leur grandeur et, par comparaison, notre petitesse ; il est né, dit-il,


Du corps de ces lions un peuple de fourmis,
Et nous n’osons nommer nos pères endormis,
Plus près d’être des dieux que nous d’être des hommes.

Et nous traînons si bas leur souvenir puissant,
Qu’à nous le voir porter on ne sait si nous sommes
Les vers de leurs tombeaux ou les fils de leur sang.


Ce commencement de décadence s’accentue dans le Parnasse de 1876 ; au lieu de progresser, il recule : ses six « fantaisies célestes » sont toutes reproduites dans La Chanson des Heures, avec quelques corrections insignifiantes. Le Vœu est réussi, surtout si on coupe la pièce à la fin de l’avant-demière strophe, la dernière étant manquée : l’amant demande à l’aimée : — Que veux-tu ? — Elle lui montre une étoile. Il reste muet :


Alors, de sa plus tendre voix :
— L’ombre en alanguissait le charme —
« Ami, l’étoile que tu vois
Là-haut, c’est ma première larme. »


C’est joli, précieux. Mais le reste ! Au couchant est quelconque. Lever d’étoiles est prétentieux et manqué, comme La Danse. La Voie lactée est un vrai contresens scientifique sur ce qu’il appelle la « mer lactée ». Quant au Réveil on en cherche vainement le sens. L’auteur qui, en prose, est rabelaisien, a bien tort de se livrer, en vers, à des « fantaisies célestes » ; quand il marche sur les nues, il rappelle le Satyre de V. Hugo :


Le gros Faune crevait l’azur à chaque pas.


Il reconnaît qu’il est entré trop tard au Parnasse ; il en est sorti trop tôt[1]. Le sonnet que lui offre Verlaine explique son exode :


Vos livres ! où l’amour qu’il faut, jamais transi,
Toujours sincère, éclate en vives splendeurs franches,
Puis, où le mâle au fond qu’on est prend ses revanches[2].


Il les prend surtout dans les contes qu’il apporte au Gil-Blas, et qui effarouchent la pudeur de ce journal. Afin de gagner chaque année les cent mille francs qui lui sont nécessaires pour entretenir

  1. Portraits, p. 121.
  2. Verlaine, Œuvres, III, 105.