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À CÔTÉ DU PARNASSE

« à son cher et bien-aimé maître ». Il est toujours prêt à entonner des hymnes à la gloire de Banville dans les brasseries littéraires[1]. Il vient, à pied, de Dijon à Paris, pour assister à la première de La Pomme[2]. Il provoque Albert Wolff, coupable d’avoir critiqué le maître, et se bat en duel : la balle de son adversaire lui frôle la joue[3]. Ses lettres enfin sont pleines d’un dévoûment humble et vraiment touchant[4]. Banville est touché, sans doute, mais un peu agacé qu’on lui parle toujours de son élève ; ce brave Glatigny est presque compromettant[5]. Pourtant, le maître pousse de son mieux son disciple toujours misérable[6]. Il essaye de mettre en lumière un talent desservi par l’aspect lamentable du pauvre hère : « ce comédien errant, déclare-t-il, était un grand artiste en poésie, si grand que/ à ce point de vue, si j’excepte les maîtres des maîtres, nul ne peut lui être préféré[7] ».

Surfaire un talent n’est pas une bonne méthode pour le faire valoir. Mais l’indulgent Banville ne veut pas reconnaître que son élève est un bohème, que la bohème n’est brillante qu’en vers, et que dans la réalité c’est le lent et sombre enlisement du talent. Il est inutile de raconter la vie errante du comédien-poète : elle est assez connue[8]. Mais il faut remarquer que Glatigny n’a pas fait deux parts dans son existence, l’une pour la vie désordonnée, l’autre pour la poésie. Le cabotin entraîne le poète à l’Alcazar ; là, Glatigny improvise sur des sujets imposés par le public, sur des rimes lancées par les auditeurs, des facéties rimées ; ses amis, Coppée en tête, venus pour le soutenir, rougissent pour lui[9]. Glatigny n’a pas l’intuition de sa déchéance : il invite Mme V. Hugo à venir l’entendre chanter, au café-concert, la gloire de l’Exilé[10]. Une de ces improvisations a été conservée ; elle est d’une faiblesse insigne[11]. Pourtant, le poète famélique se cramponne à ce gagnepain, et il faut que ce soit l’Alcazar qui le renvoie à ses études de

  1. Armand Silvestre, Portraits, p. 135.
  2. Bergerat, Souvenirs, I, 95.
  3. Calmettes, p. 251-253.
  4. Mercure de France, Ier avril 1923, p. 62.
  5. Critiques, p. 118, 119.
  6. Revue, 1919, p. 117.
  7. Mes Souvenirs, p. 396.
  8. Elle est esquissée par A. France dans sa notice en tête des œuvres de Glatigny.
  9. De Lescure, François Coppée, p. 67.
  10. G. Simon, Revue de Paris, Ier février 1906, p. 561-562.
  11. Id., ibid., p. 563.