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À CÔTÉ DU PARNASSE

L’inspiration saine et franche apparaît parfois, mais n’est pas constante. L’élève de Banville se permet d’étranges échappées vers la parodie : comme certains de ses confrères qui déclament en charge les chefs-d’œuvre les plus connus, il ose prendre dans les Contemplations une merveille de grâce, de tendresse, d’émotion Le Revenant, et, lourd, grossier, la transporte dans ses Gilles et Pasquins, avec le même titre, pour que nul n’en ignore[1]. Le Ciel chez son père devient Gautier à l’Académie[2]. Encore ces mauvaises plaisanteries sont-elles une moindre faute que sa collaboration au Théâtre érotique de la rue de la Santé ; il y publie une pièce dont on ne peut même pas citer exactement le titre, un Scapin… ruffian en deux actes, et en vers[3] ! M. Prudhomme dirait que c’est prostituer la poésie, et M. Prudhomme aurait raison. Cela ne l’empêche pas de professer pour les maîtres de l’art un respect religieux. Il s’agenouille devant Flaubert, il se prosterne devant Hugo, ce qui est bien[4]. Ce qui est moins bien c’est qu’il immole Racine sur l’autel de Guemesey[5]. Il raconte à Hugo que, engagé dans un cirque, il a imaginé une parade qui a fort bien réussi : « Cela s’appelle Le Récit de Théramène. Voici en quoi elle consiste… Un vieux sociétaire du Théâtre Français, perruque rose et costume feu, déclame le récit avec des gestes graves et mesurés, pendant que des clowns montés sur des petits chevaux corses imitent l’un Hippolyte, l’autre le monstre, avec cent cabrioles extraordinaires[6] ». On aimerait à connaître la réponse de Hugo…

Tel est le romantique impénitent qui s’achemine vers le Parnasse, où il va entrer par la petite porte ; il fréquente d’abord une brasserie, le Buffet Germanique, où viennent des artistes, des poètes, Baudelaire même. Glatigny y tient fort bien sa place : Silvestre, qui l’y a vu et entendu, dit que cet échappé du Roman Comique les tient tous sous le charme de sa fantaisie, pendant des heures ; puis, quand il en a assez, il allonge négligemment sur la table ses jambes de héron[7]. Ce sans-gêne ne l’empêche pas d’entrer

  1. Œuvres, p. 251.
  2. Ibid., p. 248.
  3. Cf. Marins Boisson, Comœdia du 21 mai 1923 ; Pierre Dufay, Mercure de France, Ier août 1925, p. 808-814.
  4. Albalat, Flaubert et ses Amis, p. 126 ; G. Simon, Revue de Paris, Ier février 1906, p. 555 ; il est romantique au point de publier dans la Revue fantaisiste du 15 avril 1861 un article sur Tragaldabas.
  5. A. France, Le Génie latin, pp. 386-387.
  6. Revue de Paris, ibid., pp. 555-556, 557.
  7. A. Silvestre, Portraits, p. 135 ; cf. A. Brisson, Le Temps du 23 octobre 1897.