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HISTOIRE DU PARNASSE

dire lui aussi des vers, que Nina applaudit ou critique à bon escient[1]. On ne perd pas son temps dans cette maison où l’on rencontre les écrivains marquants de la jeune génération. L’émulation est féconde entre tous ces jeunes gens, soucieux de plaire à l’intelligente Nina ; dans ce salon, dit M. Dreyfous, on respire l’amour du beau, et on a la passion du travail. Ceux qui passent par là, au bon moment, donneront plus tard toute leur valeur[2].

Les fêtes se succèdent, de plus en plus bruyantes. Les lendemains de grandes réceptions, il y a cercle intime, dans le jardin : un de ces soirs-là, par une nuit d’étoiles, la comtesse de Callias, dans sa robe de chambre japonaise, se balance dans un rocking-chair, en fumant. Marras cause magie avec Charles Cros. Près du jet d’eau qu’elle semble écouter, Mlle Augusta Holmès se berce dans un hamac, en regardant l’ombre. La belle Mme Manoël de Grandfort médite une de ses fantaisies de La Vie Parisienne, tandis que Catulle Mendès et Mallarmé se promènent en devisant. Des flûtes de champagne attendent sur une table : « nous étions un peu las de la fête de la veille, continue Villiers de l’Isle-Adam, et la conversation se ressentait de notre tendance un peu physique au recueillement. Nous étions aussi sous l’influence mélancolique de cette stellaire obscurité, où, froissées par le vent de septembre, des feuilles tombaient déjà tout près de nous. Ce fut alors que Nina, se tournant vers M. Léon Dierx, qui se trouvait assis près de moi, le pria de dire quelques vers ». Dierx a, justement, une pièce de circonstance, au Jardin :


Le soir fait palpiter plus mollement les plantes
Autour d’un groupe assis de femmes indolentes
Dont les robes, qu’on prend pour d’amples floraisons,
À leur blanche harmonie éclairent les gazons…
Elles ont alangui leurs regards et leurs poses
Au silence divin qui les unit aux choses,
Et qui fait, sur leurs seins qu’il gonfle, par moment,
Passer un fraternel et doux frémissement.
Chacune, dans son cœur, laisse en un rêve tendre,
La candeur de la nuit par souffles lents descendre,
Et toutes, respirant, ensemble, dans l’air bleu
La jeune âme des fleurs dont il leur reste un peu,
Exhalent en retour leurs âmes confondues
Dans les parfums où vit l’âme des fleurs perdues.


  1. Dix ans de Bohème, p. 113.
  2. Ce que je tiens à dire, p. 38.