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À CÔTÉ DU PARNASSE

fille d’un avocat à la Cour d’appel, Joseph Gaillard[1]. Sa mère a été caricaturée, à la manière noire, par presque tous ceux qui ont fait son portrait : fée carabosse, momie inerte, s’isolant morne au milieu des pires vacarmes, toute à l’amour d’un horrible singe qui perche sur son épaule, etc.[2]. Émile Goudeau l’a vue tout autre, « si bonne sous son ironie, si charmante, et, telle qu’une aïeule du xviiie siècle, indulgente et spirituelle » ; il lui dédie un roman « en très respectueux et filial hommage, et en témoignage de vénération profonde[3] ». Malgré ce témoignage, reconnaissons pourtant un défaut à Mme Gaillard : elle élève très mal sa fille, qui ne lui en veut pas : elle termine ainsi un compliment en vers « À Maman » :


Car je te trouve le plus chic des camarades[4].


Pas très jolie, plutôt laide, mais avec de merveilleux yeux noirs, elle séduit par son intelligence et sa grâce[5] ; elle charme par sa fortune un journaliste, le comte de Callias, qui l’épouse, le 3 novembre 1864. Mariage néfaste : le mari apprend à sa femme à boire, la trompe, la quitte, et disparaît de sa vie en 1867[6]. Mais la voilà comtesse, et elle a un salon, correct au début[7]. Mme de Callias ne tient pas à fréquenter la bourgeoisie[8]. Elle préfère les artistes, surtout les poètes : « Pas besoin d’un habit pour être reçu chez moi, leur dit-elle, un sonnet suffit[9] ». Dans ce salon il y a le coin des politiciens, Peyrouton, Émile Richard, Gustave Flourens, Raoul Rigault ; mais les poètes sont les grands favoris : Coppée, Léon Dierx, Mendès, Mérat et Valade, Villiers de l’Isle-Adam ; ils sont assez tranquilles, assez calmes, à moins que quelqu’un ne touche à leur foi artistique, car alors c’est la bataille[10]. Dierx dit volontiers des vers, surtout son chef-d’œuvre, Les Yeux, toutes les fois qu’on le lui demande[11]. Anatole France, encore tout jeune, fréquente ce salon, mais ne se familiarise guère[12]. Pourtant les débutants sont vite mis à leur aise : le timide Goudeau s’épanouit, et finit par

  1. Pierre Dufay, Mercure de France, Ier juin 1927, p. 325.
  2. Lepelletier, Verlaine, p. 172-173.
  3. Dix ans de Bohème, p. 111 ; Dufay, ibid., p. 326.
  4. Goudeau, Dix ans, p. 112.
  5. Maurice Dreyfous, Ce que je tiens à dire, p. 35-36.
  6. Journal des Goncourt, VIII, 153-154.
  7. M. Dreyfous, ibid., p. 40.
  8. Lepelletier, Verlaine, p. 177.
  9. De Bersaucourt, Au Temps des Parnassiens, p. 8.
  10. Lepelletier, Verlaine, p. 177-179 ; de Bersaucourt, ibid., p. 131.
  11. Dreyfous, Ce que je tiens à dire, p. 47.
  12. Id., ibid., p. 50-51.