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VERS LE PARNASSE

Il dit encore qu’avec Meredith c’est Villiers qui lui a le plus donné l’impression du génie[1]. C’est ce qu’affirme, officiellement, Catulle Mendès : « je crois très fermement que de tous les poètes de la génération parnassienne, aucun ne fut plus superbement doué… Il eut vraiment cette flamme divine que nous nommons génie[2] ». Dans l’intimité, Mendès met une sourdine à l’éloge officiel : il appelle curieusement Villiers « un incomplet magnifique, un de ces êtres dont le génie ne daigne pas se plier aux disciplines du talent. Malheur aux demi-dieux !… Il y a en eux trop ou trop peu de divinité[3] ». Ce n’était pas un demi-dieu ; il était plus et moins : c’était un dieu déchu. C’était un génie, mais un génie avorté. Au lieu de réfléchir, il a péroré ; au lieu d’écrire, il a causé. Il ne s’est jamais mis en pression régulière. La causerie est une déperdition constante des forces qui ne peuvent plus être accumulées pour la création véritable. G. Moore, qui l’a connu chez Nina, explique ainsi sa déchéance : « il n’a aucun talent, il n’a que du génie, et c’est pourquoi c’est un raté ». Il dépense son génie à la brasserie, en mimant des contes qu’il n’écrit pas au début, et qu’à la fin il ne peut plus écrire. Il promet pourtant à Moore, qui en a admiré un, de le lui envoyer dès le lendemain matin : « il vaut mieux qu’il ne l’écrive pas, ajoute Moore, car le plus beau c’est sa voix et ses gestes. À mesure qu’il vieillit, il parle mieux, et il écrit moins bien. C’est à la brasserie qu’il faut l’entendre. Villiers improvise admirablement au café, mais quand vient le matin, il ne peut écrire, son cerveau est vide[4] ». Il n’a pas composé pour la postérité, mais posé devant la galerie. Il a brillé parmi les bohèmes de Nina, mais il a tué le grand poète qui était en lui.


  1. Une Heure avec… par F. Lefèvre, Nouvelles Littéraires du 7 avril 1928.
  2. Rapport, p. 129 ; Légende du Parnasse, p. 119-132.
  3. Léo Larguier, Nouvelles Littéraires du 10 mars 1928.
  4. Mémoires de ma Vie morte, p. 103-105.