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HISTOIRE DU PARNASSE

De même, on peut nier que Xavier de Ricard ait été l’initiateur du mouvement parnassien[1]. Verlaine voudrait nous le faire croire, prétendant que l’École provient de l’Art, fondé et dirigé par Ricard ; ce journal hebdomadaire n’a vécu que quelques semaines, mais, dit Verlaine, il eut « le temps d’ensemencer sur un papier et dans une typographie irréprochables, les théories, absolues, hautaines, intransigeantes, d’où sortit ce Parnasse contemporain ». Naturellement, Ricard est du même avis[2]. Mendès est moins affirmatif ; pourtant il collabore à l’Art ; il y publie des vers, des articles ; il y crée même une rubrique nouvelle : la petite correspondance ; ses lettres d’amour parviennent ainsi à leur adresse[3]. Mais l’Art lui paraît trop mal rédigé par ailleurs, et trop chiche pour ses rédacteurs ; il écrit à Baudelaire, en 1866, avec une sorte de rancune : « l’Art n’est plus… Il a cessé de paraître par mes conseils… Il y a cependant paru de magnifiques vers de Leconte de Lisle, une jolie pièce de François Coppée, un poète que vous aimerez quand vous le connaîtrez, et un assez beau poème de moi, intitulé Le Mystère du Lotus[4].

Mendès semble content de lui-même ; il est moins satisfait du directeur de L’Art, qui manque d’autorité. Ricard a-t-il l’envergure d’un chef ? Il faudrait pour cela qu’il commençât par avoir la valeur de l’écrivain qui s’impose. Or, ce n’est pas l’avis de Sainte-Beuve : Ricard lui a envoyé des vers ; Sainte-Beuve répond, le 6 novembre 1863, une lettre qui est un modèle de prudence : « je suis sensible à la peine que vous avez prise, et à votre poétique envoi… Je ne veux aujourd’hui que vous remercier, et vous assurer des sentiments d’estime et (même au milieu de dissidences) de la sympathie que votre talent mérite d’inspirer[5] ».

Ce n’est pas très chaud, mais on comprend la froide réserve de Sainte-Beuve quand on étudie la collaboration de Ricard aux trois Parnasses. Son envoi de 1866 est la médiocrité même, et s’étale à lui seul dans toute une livraison de seize pages. Son poème sur la Mort est prétentieux : il vise au grand art, et le manque.

  1. Mme Adam, Mes Sentiments, p. 54.
  2. Verlaine, IV, 284-285 ; Ricard, La Revue (des Revues), février 1902, p. 302.
  3. Ricard, Le Petit Temps, 17 novembre 1898.
  4. Crépet, Baudelaire, p. 396.
  5. Sainte-Beuve, Correspondance, I, 330.