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HISTOIRE DU PARNASSE

de colère que dans Les Tragiques, mais moins de talent. C’est plutôt de l’Esparbès en vers : ainsi la description du château de Murles :


Grand vaincu, tout poissé de sang, défiguré
Du noir baiser de la fumée, et qui t’ennuies
Des taches dont le vil ruissellement des pluies
A maculé le haut honneur de tes vieux murs !
Qui jadis érigeais puissamment tes blocs sûrs,
Cuirassés d’arrogants défis à la défaite ;
Hélas ! tu n’entends plus, dans de fiers bruits de fête,
Le fer joyeux chanter, ni les lourds escadrons
Hennir dans les clameurs superbes des clairons,
Ni tes Reîtres tinter de tonnantes armures !…

Tu ne retentis plus que des assauts du vent,
Antre fauve, — où l’affreux tumulte des tempêtes
Engouffre, en mugissant, son noir troupeau de bêtes !


Quand on se permet de fausses beautés déclamatoires, on n’a pas d’autorité[1]. Quand on est un anarchiste en puissance, on ne peut diriger les autres[2]. Enfin, c’est l’intolérance même, et l’on ne mène pas les poètes à la baguette[3]. Pour toutes ces raisons, se sentant froidement accueilli, lui et ses œuvres, Ricard disparaît peu à peu de la vie parnassienne[4]. Celui qui se vantait d’avoir créé l’École, a beaucoup de mal à faire accepter son envoi au Parnasse de 1876. Anatole France, membre du jury d’admission, déclare que l’Apologie du sire Pugnaire est un poème « obstrué de malpropretés incongrues », et a besoin d’être nettoyé[5]. Ce poème est daté de Castelnau-sur-le-Lez, et du Mas du Diable ! Ricard a quitté Paris, et s’est rouillé ; maintenant il chante la gloire des garrigues, quand il a le temps d’écrire en vers[6]. Il vit de sa prose, et il en vit mal. Il est quelque temps rédacteur en chef de La Dépêche de Toulouse, puis il disparaît et va faire de l’agriculture au Paraguay. En 1907, revenu en France, il réussit à se faire nommer conservateur du musée d’Azay-le-Rideau[7]. Il y avait beau temps qu’il était oublié ; sa place avait été prise par son envahissant collaborateur de L’Art.


  1. Lepelletier, p. 132.
  2. Ch. Maurras, Barbarie et Poésie, p. 25.
  3. Ricard, Revue (des Revues), février 1902, p. 303.
  4. Calmettes, p. 279.
  5. Le Manuscrit autographe, mars 1928, p. 46.
  6. Verlaine, V, 419-420.
  7. Lepelletier, p. 132.