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LIVRE IV
LE PARNASSE

CHAPITRE PREMIER
Les débuts de Leconte de Lisle[1]

C’est dans le groupe du passage Choiseul que, par une sélection assez sévère, Leeonte de Lisle choisit ses douze compagnons, et les entraîne avec lui vers la sainte montagne, toujours plus haut. Tous auraient pu lui dire comme Dante à Virgile : tu es notre guide et notre maître. Cette maîtrise a été puissante, car ce chef était un caractère, enrichi par l’hérédité, durci par l’épreuve, se dominant d’une façon presque absolue, à ce point maître de lui qu’on l’a cru impassible. Il était stoïque en apparence, au fond passionné ; c’est comme une formidable machine à vapeur, arrêtée ; elle a l’air inerte et froide. À l’intérieur, il y a un brasier ; la vapeur est en pression, près d’exploser ; et tout à coup l’inquiétant moteur se met en marche, développe des mouvements rythmés, puissants, irrésistibles ; nous ne voyons que le travail de la force cachée, mais nous la reconnaissons à ses effets.

Essayons de comprendre Leeonte de Lisle, de connaître toutes les idées-forces qui vivent en lui à l’état latent, et qui l’aident à produire son œuvre magnifique. C’est d’abord une physionomie puissante, où le regard éclate ; un monocle dissimule une disgrâce physique : il est borgne[2]. Dociles au conseil de Joubert, ses amis le regardent de profil, et ses ennemis, de face ; Tailhade, qui ne l’aime

  1. Il n’y a pas de bonne bibliographie de Leconte de Lisle, mais on peut en additionner quelques-unes qui sont passables : H. Châtelain, Revue Universitaire, 15 janvier 1911, p. 70-71 ; M. A. Leblond, Leconte de Lisle, p. 471 ; Elsenberg, Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, p. 245 ; Jean Ducros, Le Retour de la Poésie française, p. 1-6 ; G. H. Lestel Revue, 1925, p. 127 sqq. ; Fernand Desonay, Le Rêve hellénique chez les Poètes parnassiens.
  2. C. Millaud, Nouvelle Revue, Ier février 1922, p. 279-280.