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HISTOIRE DU PARNASSE

pas, crayonne ce portrait-charge : « petit homme gros, bedonnant, avec les cheveux d’Alfred de Vigny, et qui portait sur un ventre de bourgeois une tête de statue. Il en gâtait les lignes harmonieuses par une sorte de rictus amer qui ressemblait à une grimace[1] ». Tous les autres peintres sont flatteurs, même Goncourt qui, devant cet œil lumineux et cette chair marmoréenne, pense à un prélat romain[2]. J. Breton en donne une esquisse enthousiaste : le front large, haut, de plan très pur ; un nez de dessin noble et simple ; une bouche finement ironique, mais surtout un regard parlant : « il avait l’œil absolument beau, bon pour ses amis, extraordinairement expressif, voilé parfois aux moments de repos, puis s’animant jetant, par éclairs, les joies ou les colères de son cœur et de son génie[3] ».

Des forces ancestrales vivent en lui. Son arrière-grand-père maternel, le marquis François de Lanux conspire contre le Régent, se réfugie en Hollande, puis en 1720 part pour l’île Bourbon où il épouse en 1726 la fille d’un ancien forban natif de Rouen, Jacques Léger[4]. Le petit-fils du marquis François épouse une mulâtresse dont la fille, fort séduisante quarteronne, fera battre le cœur du poète[5].

Par le côté paternel, Leconte de Lisle est d’origine normande : la terre de l’Isle, relevant de l’évêché de Dol, voit son horizon borné par la cathédrale, le mont Saint-Michel, les hauteurs d’Avranches[6]. Installée en Bretagne, à Dinan, vers le milieu du xviiie siècle, la famille compte surtout des médecins, des chirurgiens, voire des apothicaires. Michel Le Conte a beau être sieur de l’Isle et de Préval, la famille est d’honnête roture[7]. Le poète, qui connaît son Molière, et qui a lu L’École des Femmes, n’aura jamais besoin qu’on lui rappelle la tirade de Chrysalde à M. de la Souche :


Je sais un paysan qu’on appelait Gros-Pierre,
Que, n’ayant pour tout bien qu’un seul quartier de terre,
Y fit tout à l’entour faire un fossé bourbeux,
Et de monsieur de l’Isle a pris le nom pompeux.


  1. Les Commérages de Tybalt, p. 182.
  2. Journal, VI, 5.
  3. Revue Bleue, 5 octobre 1895, p. 425 ; cf. Jean Dornis, Essai, p. 7.
  4. Dornis, Essai, p. 4 ; R. D. D.-M., 19 mai 1899, p. 323 ; Cazamian, Revue Bleue du 16 mars 1929, p. 178.
  5. Dornis, préface des Contes en Prose, p. xx.
  6. Tiercelin, Bretons de Lettres, p. 8-9.
  7. G. Bastard, Revue Bleue, 14 décembre 1895, p. 743.