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LE PARNASSE

ne fut aussi qu’un tyran, plus grand que les autres, et pour cela encore plus coupable[1] ».

C’est donc un jeune républicain qui débarque en France, avide de tout, sauf du travail régulier que le père exige, dans son désir de faire de son fils un magistrat colonial. Il passe son baccalauréat, le 14 novembre 1838, péniblement : en rhétorique il est assez bon ; en philosophie, passable ; en français, suffisant ; en grec, il est médiocre[2]. Puis, il se résigne à commencer son droit ; en avril 1839, il envoie une lettre navrée à Rouffet : « je n’ai pu vous écrire plus tôt, mon Ami, tracassé que j’étais par le Droit, ignoble fatras qui me fait monter le dégoût à la gorge… Je m’en vais lentement vers l’abrutissement[3] ». Pour réagir, il se mêle à la vie de ses camarades ; ce sont d’abord les farces classiques entre étudiants[4]. Puis tout à coup sa vie change : dans ce milieu breton, religieux malgré tout, il a un retour de catholicisme inattendu. Au mois de mai, il a vu mourir un camarade phtisique ; devant le mystère de la mort, il est ému : « la foi d’un autre monde est un bien puissant appui, et je plains sincèrement celui qui ne l’a pas[5] ». Il redevient catholique, ardemment : il fonde avec deux amis une revue, La Variété, et ne doutant plus de rien, il annonce que les bénéfices seront consacrés à de bonnes œuvres : « les paroles seront aumônieuses, les pensées seront la propriété de l’indigent[6] ». La préface de la revue est écrite par un professeur de la Faculté des Lettres, Alexandre Nicolas : l’étudiant catholique assiste à ses cours, et suit sa pensée. Sa critique est maintenant commandée par sa foi : il préfère au païen Chénier un autre poète, « disciple du Christ, ce sublime libérateur de la pensée,… M. de Lamartine[7] ». Ce n’est pas un feu de paille : le 19 novembre 1842, son frère Alfred, resté à Bourbon, célèbre la métamorphose « de cet indigne et bien-aimé Charles[8] ». Pourtant, il y a encore pour la famille un point noir : la conversion religieuse de Charles n’a pas été suivie d’une volte-face politique ; il reste républicain, à la désolation de son oncle Louis Leconte,

  1. Dornis, Essai, p. roi. C’est L. de Lisle qui souligne.
  2. Tiercelin, R. D. D.-M., Ier décembre 1898, p. 638 ; Bretons de Lettres, p. 36-37.
  3. Premières Poésies, p. 90.
  4. Barrucand, Revue de Paris, Ier mars 1914, p. 306.
  5. Premières Poésies, p. 96, 99.
  6. Tiercelin, R. D. D.-M., Ier décembre 1898, p. 648 ; Bretons de Lettres, p. 117.
  7. Id., ibid., p. 650.
  8. Revue Bleue, 10 juillet 1897, p. 41 ; cf. Elsenberg, Le Sentiment religieux, p. 245 sqq. et Le Goffic, L’Âme Bretonne, p. 171.