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LE PARNASSE

ouvrir les yeux des Bretons, élever l’âme populaire jusqu’au culte de la raison, anéantir les blancs, relever les bleus… À cet effet, il commence une série de conférences, mais la termine vite : un soir qu’il tonne à Dinan contre la religion, son public fanatisé se lève… pour l’assommer ; il n’a que le temps de sauter par une croisée et de s’enfuir. Cette défenestration est la fin de sa vie politique, et de sa foi révolutionnaire[1].

Que de désillusion dans cette lettre écrite de Dinan, le 30 avril 1848, à un ami : « Je me suis éreinté ici sans autre résultat que la fondation d’un Club républicain démocratique… Que le grand diable d’enfer emporte les sales populations de la province. Vous vous figurerez à grand’peine l’état d’abrutissement, d’ignorance et de stupidité naturelle de cette malheureuse Bretagne… Que l’humanité est une sale et dégoûtante engeance ! Que le peuple est stupide ! C’est une étemelle race d’esclaves qui ne peut vivre sans bât… Qu’il crève donc de faim et de froid, ce peuple facile à tromper, qui va bientôt se mettre à massacrer ses vrais amis[2] ». Il y a quelque chose qu’il ne dit pas à son correspondant,, et dont il réserve la révélation à Louis Ménard ; à celui-ci, il confie la série complète de ses désillusions : ce n’est pas le peuple seul qui est abruti, ses chefs ne lui sont guère supérieurs : « les hommes politiques ont plus de sang dans les veines que de matière cérébrale dans le crâne… Ce sont des esprits ébauchés, fermés à toute clarté… Ces hommes ont été confinés aux infimes échelons de la grande hiérarchie humaine[3] ». Et dans une autre lettre du 8 novembre 1849 : « les démocrates actuels sont trop bêtes et trop ignorants. Il m’est impossible de vivre avec eux[4] ». Comme on n’aime pas à avouer qu’on s’est trompé, il déclare conserver sa foi dans la transformation « magnifique » de la société future, mais il a horreur de la cuisine politique qu’il vient de goûter[5]. Il a vu à l’œuvre les rêveurs avec lesquels jadis il se grisait de paroles[6] ; il a vu de près le peuple qu’on magnifiait au Club Central Républicain, et, dans une crise d’orgueil, perdant sa foi politique comme il avait déjà perdu ses croyances reli-

  1. M. A. Leblond, p. 232.
  2. Id., p. 229-230.
  3. Dornis, Essai, p. 118.
  4. M. A. Leblond, p. 244.
  5. Cf. sa longue lettre à Louis Ménard, du 7 septembre 1849, p. p. Maurice Barrès dans la Revue Bleue du 12 juillet 1902, p. 39-40.
  6. Got, Journal, II, 144-145.