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LE PARNASSE

Les Elfes de Ménard ne valent pas ceux de Leconte de Lisle, bien entendu. Mais, en matière de théorie, le poète philosophe prend sa revanche. Il sert vraiment de conseiller littéraire à son ami : ainsi, il lui reproche de mettre à la fin de ses poèmes une strophe en surcharge : cette strophe finale contient une conclusion trop précise, trop claire, ce qui ne laisse pas au lecteur le plaisir de prolonger lui-même la sensation poétique, de collaborer avec le poète. La théorie est subtile : le plus curieux, c’est que Leconte de Lisle l’accepte : reprenant dans les Poèmes Barbares l’Ekhidna parue dans le Parnasse de 1866, le poète supprime la dernière stance qui contenait l’explication du mythe :


Les siècles n’ont changé ni la folie humaine,
Ni l’antique Ekhidna, ce reptile à l’œil noir :
Et malgré tant de pleurs et tant de déesspoir
Sa proie est étemelle, et l’amour la lui mène[1].


Voilà chez Leconte de Lisle un fait de docilité bien inattendu. Faut-il aller plus loin encore, avec Maurice Barrès, et penser que Louis Ménard a inspiré « les hautes pages d’esthétique » qui précèdent la première édition des Poèmes Antiques[2] ? C’est trop généraliser. Ce que Leconte de Lisle dit, dans cette préface, de son Baghavat, de la métaphysique hindoue, des dogmes bouddhistes, lui est personnel. Le mépris écrasant pour les grands romantiques est encore bien de lui, et non de Ménard qui avait tant de peine à renoncer à son byronisme. L’orgueil intellectuel qui remplit d’un dédain transcendant la déclaration de guerre au public, à l’École du Bon Sens, porte bien encore la marque de fabrique de Leconte de Lisle. Mais il faut reconnaître que l’apothéose du génie hellène, que la distinction entre la théogonie grecque et la théogonie latine sont signées Louis Ménard[3].


  1. Parnasse, p. 29 ; Poèmes Barbares, p. 62.
  2. R. D. D.-M., 15 novembre 1905, p. 246.
  3. Préface des Poèmes Antiques, dans les Derniers Poèmes, p. 221, 217-218, 216, 220.