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HISTOIRE DU PARNASSE

taine, elles frissonnent d’amitié pour une même conception de l’hellénisme[1] ».

Leconte de Lisle s’élève jusqu’au niveau de l’érudition de Ménard par son effort propre. Il apprend le grec en le traduisant ; il consacre sept années à ses traductions. Elles ne lui rapportent que sept mille francs, et il manque de s’y abîmer les yeux[2] ; elles lui valent, auprès du grand public, toutes sortes de railleries, bonnes ou mauvaises[3]. Mais les historiens, les archéologues, lui donnent raison. Les écrivains approuvent la beauté artistique de son Homère[4]. Il récolte enfin les fruits de son énorme labeur : saturé de génie grec, il peut, dans un seul sonnet, condenser l’Iliade dans laquelle il a si longtemps vécu ; il écrit Le Combat Homérique :


De même qu’au soleil l’horrible essaim des mouches
Des taureaux égorgés couvre les cuirs velus,
Un tourbillon guerrier de peuples chevelus,
Hors des nefs s’épaissit, plein de clameurs farouches…

Zeus, sur le pavé d’or, se lève, furieux,
Et voici que la troupe héroïque des Dieux
Bondit dans le combat du faîte des nuées[5].


Leconte de Lisle se réfugie dans l’art grec, non seulement par amour du beau, réalisé jadis en perfection, mais encore par dégoût pour les laideurs ftiodemes, pour les néo-barbaries. Avec une sorte d’insolence et de défi, il lance l’anathème à l’art contemporain : « depuis Homère, Eschyle et Sophocle, qui représentent la poésie dans sa vitalité, dans sa plénitude et dans son unité…, la décadence et la barbarie ont envahi l’esprit humain ». La vie présente, toute scientifique, est anti-poétique : « les hymnes et les odes inspirées par la vapeur et la télégraphie électrique m’émeuvent médiocrement », dit-il dans la préface des Poèmes et poésies. Le monde n’est plus qu’un « Pandémonium intellectuel » livré aux clameurs des barbares[6]. Il veut restaurer le temple grec, y replacer les dieux déchus : ils subsistent par la beauté que leur avaient prêtée les

  1. Voyage de Sparte, in R. D. D.-M., 15 novembre 1905, p. 242 ; cf. Heredia, dans Le Tombeau de Louis Ménard, p. 21, 22, 29.
  2. Jean Dornis, R. D. D.-M., 15 mai 1895, p. 329.
  3. H. Houssaye, Le Temps du 13 décembre 1895 ; Calmettes, p. 321-323 ; Brunetière, Histoire et Littérature, II, 219 ; Charly Clerc, Le Génie du Paganisme, p. 75 ; Sainte-Beuve, Correspondance, II, 153 ; Maurras, Anthinea, p. x-xi.
  4. G. Sand, Impressions et Souvenirs, p. 239 ; Francis Jammes, Mémoires, III, 187.
  5. Poèmes Barbares, p. 45.
  6. Derniers Poèmes, p. 216-217, 223.