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LE PARNASSE

sculpteurs, ces dieux pour lesquels mourut Hypatie, la martyre païenne[1]. Le sceptique Jules Lemaître trouve cet effort sublime, y voyant l’union de deux sentiments immortels, l’amour de la beauté plastique, le désenchantement de l’existence[2]. Le premier rayonne dans L’Apollonide, où le poète tombe dans une sorte d’extase devant la beauté grecque[3]. Le second, nous le connaissons par la vie même de Leconte de Lisle : il avait beau la cacher à ses lecteurs, il a dit une fois son secret dans les plaintes du Cyclope amoureux de Galatée, :


C’est ainsi que chantait l’antique Polyphème,
Et son amour s’enfuit avec sa chanson même,
Car les Muses, par qui se tarissent les pleurs,
Sont le remède unique à toutes nos douleurs[4].


À la Grèce il demande, au moins autant qu’une forme parfaite de l’art, une philosophie pour remplir le vide de son cœur : il a renié ses anciens dieux du fouriérisme, avec l’énergie d’une désillusion complète, « ces esprits ébauchés à coups de bêche, toujours fermés à toute clarté d’un monde supérieur[5] ». Il a renié la religion de son enfance, non pas du tout, comme on l’a dit, sous l’influence de Henri Heine, mais en vertu des amertumes de sa vie[6] ; sa foi, un instant reconquise à Rennes, s’est transmuée en une véritable haine du christianisme : elle apparaît dans le Chant alterné, où l’hellénisme et le christianisme se répondent, dans Hypatie et Cyrille, où les deux religions s’affrontent[7] ; elle anime toute son œuvre, car ses poèmes indiens, égyptiens, Scandinaves, finnois, celtiques, espagnols, américains, grecs, latins ou bibliques sont non pas une Légende des Siècles, mais une Légende des Religions ; le fil qui relie toutes ces histoires, c’est, je le répète, la haine du catholicisme. Du reste, à un prêtre lui demandant si vraiment il croit aux dieux de l’Olympe, il répond, très sérieusement : « je crois à tous les dieux, Monsieur. Il n’en est qu’un sur la divinité duquel j’ai quelque doute : c’est Jésus-Christ[8] ». Il ne s’arrête donc pas

  1. Gautier, Rapport, p. 331.
  2. Contemporains, II, 45.
  3. Derniers Poèmes, p. 155.
  4. Poèmes Antiques, p. 176.
  5. M. A. Leblond, p. 240-241 ; cf. Jean Ducros, Le Retour, p. 44.
  6. L. Reynaud, L’influence allemande, p. 217 ; Margaret Clarke, Heine et la Monarchie de juillet, p. 243.
  7. Poèmes Antiques, p. 270, 275.
  8. Louis de Mondadon, Le Génie du Paganisme, dans les Études du 20 novembre 1920, p. 489.