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HISTOIRE DU PARNASSE

dit : « Je fus faite prisonnière. Il me fallait chaque matin lacer les souliers de la femme d’un Herse ». Herborga dit mieux :

Moi-même un chef m’a prise, et j’ai durant six ans
Sous sa tente de peau nettoyé sa chaussure[1].

Il y a plus de couleur locale dans ce seul vers que dans tout le Chant de Gudruna. Il suffit de relire La Mort de Sigurd pour voir que Leconte de Lisle a inventé tout ce qui fait beauté dans son poème. Sa ballade, Les Elfes, paraît plus merveilleuse encore quand on la rapproche de La Colline des Elfes[2] ? Un jeune homme s’endort sur cette colline. Deux jeunes Elfes s’approchent et lui demandent de danser avec elles, d’écouter leur voix : « l’une d’elles plus belle que toutes les femmes commence son chant. L’eau du fleuve rapide s’arrêta pour l’écouter. Les petits poissons agitèrent leur queue dans les flots ». Le coq chante, et le jeune homme échappe aux sorcières ! Mais, dit-on, Leconte de Lisle a probablement emprunté plutôt ses Elfes à la version suédoise traduite par Henri Heine dans son livre De l’Allemagne[3]. C’est possible, c’est souhaitable même, car il vaut mieux comparer l’auteur des Poèmes barbares à un grand poète ; la comparaison est toute à l’honneur de Leconte de Lisle :

Le seigneur Oluf chevauche bien loin
Pour inviter les gens de sa noce.
Mais la danse va si vite par la forêt.

La fille du roi des Elfes l’arrête :

Écoute-moi, seigneur Oluf, viens danser avec moi :
Je te donnerai deux bottes de peau de bélier.
Mais la danse va si vite par la forêt.
Deux bottes de peau de bélier vont si bien à la jambe :
Les éperons d’or s’y attachent bien joliment.
Mais la danse va si vite par la forêt.
Écoute, seigneur Oluf, viens danser avec moi.
Je te donnerai une chemise de soie,
Une chemise de soie si blanche et si fine :
Ma mère l’a blanchie avec du clair de lune…

  1. Marmier, p. 47 sqq. ; Poèmes Barbares, p. 97.
  2. Marmier, p. 136.
  3. Vianey, Les Sources, p. 143-147 ; Heine, De l’Allemagne (Michel Lévy, 1863) II, 57 ; la première édition est de 1835, chez Renduel ; cf. L. Derome, Les Éditions originales des Romantiques, p. 155.