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LE PARNASSE

Poèmes pendant que la croyance à l’évolution des espèces agite les esprits, jusqu’au jour où Darwin la canalise dans son Traité de l’Origine des Espèces[1]. Par un éclectisme bizarre, Leconte de Lisle adopte le transformisme, mais en le mélangeant avec une forte part de fouriérisme et d’hindouisme[2].

Désormais sa doctrine composite est amalgamée : il croit à un méchant Créateur, à l’égalité de l’animal avec l’homme, au Mal qui engendre le désir. Fourier, Darwin et Çakiamouni, telle est la trinité qui préside au développement de sa pensée et de son œuvre.


CHAPITRE V
L’Hindoustan

Qui donc l’a entraîné vers l’Inde ? Était-ce un souvenir nostalgique de sa prime jeunesse ? Était-il vraiment allé aux Indes ? On le taquinait là-dessus au Parnasse : à ceux qui lui posaient la question, il demandait à son tour, en souriant, s’il était très important que Chateaubriand fût allé, ou non, en Amérique[3]. En réalité, Leconte de Lisle avait fait le voyage, non en touriste, mais en fils de commerçant, et n’avait guère mordu au négoce[4]. Il avait gardé de l’Inde la vision d’une nature plus belle encore et plus puissante que celle de son île, l’amour des animaux monstrueux. Quant à l’Inde religieuse, il ne l’avait même pas soupçonnée, et ce n’est pas lui qui l’a révélée au grand public ; il a un précurseur : Lamartine, dès 1838, trouve que la philosophie indienne éclipse toutes les autres : « c’est l’Océan, nous ne sommes que ses nuages » ; il fait revivre une partie des religions orientales dans La Chute d’un Ange. Dans son troisième Entretien, il raconte son enthousiasme, la première fois qu’il lut les Védas : « je jetai des cris, je fermai les yeux, je m’anéantis d’admiration dans mon silence… Je m’agenouillai

  1. Fusil, La Poésie scientifique, p. 135, 136, 156.
  2. Calmettes, p. 47.
  3. M. A. Leblond, p. 439.
  4. {{sc|Calmettes, p. 4 ; G. Bastard, Revue Bleue, 14 décembre 1895, p. 743.