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HISTOIRE DU PARNASSE

ce qui est éternel. Que l’éternelle vérité vous plaise sur toutes choses, et que votre extrême bassesse vous soit toujours un sujet de confusion et de mépris[1] ». Voilà la note religieuse, et qui détone dans le concert des plaintes du poète ; il est à l’unisson avec le chant de minuit de Nietzsche :


Ô homme ! prends garde !
Que dit minuit profond ?…
La douleur dit : « Passe, et finis ! »
Mais toute joie veut l’éternité,
Veut la profonde éternité[2] !


Le vers final de Leconte de Lisle,


Qu’est-ce que tout cela qui n’est pas éternel.


ne signifie pas qu’il regrette l’éternité vivante, divine, l’Éternel. Le poète veut dire que toutes ces forces qui, par leur puissance, donnent l’impression de la durée indéfinie sont une illusion de l’éternité, mais ne sont pas étemelles, puisque rien n’est étemel.

Il semblerait donc que Verlaine l’a parfaitement défini, « un poète épris du néant, par dégoût de la vie moderne[3] ». Mais, comme le propre de la philosophie poétique est de renfermer des contradictions, on lit dans les Poèmes barbares le sonnet paru d’abord au Parnasse de 1866 :


L’Ecclésiaste a dit : « Un chien vivant vaut mieux
Qu’un lion mort. Hormis, certes, manger et boire,
Tout n’est qu’ombre et fumée. Et le monde est très vieux,
Et le néant de vivre emplit la tombe noire »…

Vieil amant du soleil qui gémissais ainsi,
L’irrévocable mort est un mensonge aussi.
Heureux qui d’un seul bond s’engloutirait en elle !

Moi, toujours, à jamais, j’écoute, épouvanté,
Dans l’ivresse et l’horreur de l’immortalité,
Le long rugissement de la vie éternelle[4].


Il semble bien dire ici que le néant, ce dernier refuge de l’âme incrédule, n’existe pas ; mais, suivant les sautes de sa sensibilité,. tantôt il n’y croit plus, tantôt il l’affirmer. Il suit en même temps les fluctuations de la philosophie de son temps. Il compose ses

  1. Livre III, chapitre iv.
  2. Cité par J. Jœrgensen, Le Pèlerinage de ma Vie, I, 159.
  3. Verlaine, V, 290.
  4. Poèmes Barbares, p. 37.