Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
LE PARNASSE

son histoire poétique de l’Inde renferme plus de poésie que d’histoire. Il y a des poèmes où l’on se sent désorienté comme dans L’Arc de Civa. La fin en est incompréhensible, et ce n’est pas la faute des hindous : leur légende est altérée par Leconte de Lisle[1]. Bien entendu les détails pittoresques sont toujours exacts ; le poète est fier de son érudition asiatique, qu’il déclare infaillible : un de ses correspondants lui reprochant d’avoir placé dans la main d’un fakir une citrouille : « je ne l’ai pas mise là au hasard, répond-il. Tous les détails de la vie hindoue que j’énumère ici me sont spécialement connus. C’est bien d’une citrouille et non d’une calebasse que se servent les fakirs chanteurs ». Puis, avec la pitié dédaigneuse de l’érudit spécialisé : « Du reste, comme vous le savez, ce sont deux courges qui ne diffèrent que de forme[2] ». Mais, avec des détails vrais, on peut construire des ensembles faux. Son érudition hindoue ne va pas jusqu’au respect absolu de la vérité quand la beauté est en jeu ; sur la tête d’un de ses héros il met tranquillement la tiare de Saïtapharnès, et nous convoque pour admirer cette belle restitution[3]. Il lui reste le mérite de faire entrer dans le domaine littéraire une science abstruse ; comme l’a dit heureusement Schuré, grâce à lui « derrière la Grèce qui limitait l’horizon classique, on aperçoit l’Himalaya[4] ». Mais est-ce bien l’authentique Himalaya, ou un décor de théâtre ?

Avant de critiquer son hindouisme, il me faut faire un aveu : n’ayant sur le brahmanisme et le bouddhisme que les connaissances du français moyen, je me suis documenté dans l’ingrate Introduction de Bumouf, et j’ai consulté Les Sources de M. Vianey, ce qui inspire déjà une certaine défiance pour le monde hindou de Leconte de Lisle, monde qui finit par sembler obscur, à force de lumière aveuglante. Puis j’ai complété ces notions sommaires, en consultant les monographies des spécialistes, de ceux qui peuvent juger Leconte de Lisle du haut d’une science vraie. Le poète décrit magnifiquement la façade de l’Inde religieuse ; il n’en voit pas la profondeur. On apprend plus sur l’âme hindoue dans un simple article de revue sur un collège de l’Hindoustan, par quelqu’un qui y a vécu, que dans tous les Poèmes antiques[5].

  1. Poèmes Antiques, p. 26-31 ; cf. Vianey, Les Sources, p. 5-19.
  2. Revue, 1927, p. 302.
  3. Vianey, Les Sources, p. 106.
  4. Revue des Revues, Ier mai 1910, p. 36.
  5. Cf. le P. Lacouagne, Études du 5 août 1927, p. 304-322.