Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
206
HISTOIRE DU PARNASSE

On trouve encore au Parnasse de 1876 un Crépuscule indien, de B. de Fourcaud. En dehors des trois recueils officiels de l’Ecole, Frédéric Plessis écrit Urvaçi ; Jean Lahor constelle son livre, L’illusion, de poésies védiques. Enfin on peut supposer, avec une quasi-certitude, que, sans Leconte de Lisle, V. Hugo n’eût pas introduit dans La Légende des Siècles cette Suprématie où Vayou, Agni et Indra rivalisent avec Brahma[1].

Pour mesurer l’intensité de l’influence bouddhiste de Leconte de Lisle sur la pensée des poètes qui l’entourent, on peut prendre la page que M. Paul Bourget a écrite sur l’enseignement de Viçvamitra dans le poème de Çunacépa :


La vie est comme l’onde où tombe un corps pesant :
Un cercle étroit s’y forme, et va s’élargissant,
Et disparaît enfin dans sa grandeur sans terme.
La Maya te séduit ; mais, si ton cœur est ferme,
Tu verras s’envoler comme un peu de vapeur
La colère, l’amour, le désir et la peur ;
Et le monde illusoire aux formes innombrables
S’écroulera sous toi comme un monceau de sables[2].


Le commentaire de M. Bourget étant de premier ordre, je me contente de le transcrire : « nous sentons peser physiquement sur nous la formidable pression sous laquelle le cœur de l’homme a ployé dans ces contrées d’une fécondité prodigieuse et meurtrière. La volonté individuelle s’est fondue à ce torride soleil, comme un métal dans un brasier trop ardent ; et la doctrine du nirvana, de la dispersion anéantissante et divine au sein de cet univers trop vaste, est apparue, conséquence inévitable de l’écrasement de l’être chétif sous la démesurée, la monstrueuse poussée de la création ». On voudrait que l’auteur de ces lignes conclût par la réponse victorieuse du stoïcisme chrétien : « l’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser. Une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt ; et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien ». Mais M. Paul Bourget, parnassien, ne fréquente pas Pascal. Au contraire, il développe le bouddhisme de Leconte de Lisle en le transposant sur le plan surnaturel : « ce n’est pas seulement par

  1. Bien entendu, Hugo n’a pas imité L. de Lisle (cf. Berret, Légende, III, 35-36), mais le désir de rivaliser est certain.
  2. Poèmes Antiques, p. 50.