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LE PARNASSE

Grèce ? Prenons la plus belle peut-être de ses descriptions de lever de soleil dans le poème de Çunacépa :


La Nuit divine, enfin, dans l’ampleur des cieux clairs,
Avec sa robe noire aux plis brodés d’éclairs,
Son char d’ébène et d’or, attelé de cavales
De jais et dont les yeux sont deux larges opales,
Tranquille et déroulant au souffle harmonieux
De l’espace, au-dessus de son front glorieux,
Sa guirlande étoilée et l’écharpe des nues,
Descendit dans les mers des Dêvas seuls connues,
Et l’Est devint d’argent, puis d’or, puis flamboya,
Et l’Univers encor reconnut Sûryâ[1] !


Supprimez Sûryâ et les Dêvas : mettez à la place Hélios, les Démons, et vous voilà très loin de l’Inde, en pleine Grèce. Leconte de Lisle est un grécisant qui a fait le voyage de Bénarès sans sortir de sa bibliothèque. Ce bouddhisme brahmanique teinté d’hellénisme est très assimilable pour les Parnassiens ; ce seul côté du talent du maître exerce déjà une profonde influence sur l’École à ses débuts. C’est grâce à lui que, au Parnasse de 1866, nous trouvons le Nirvana de Louis Ménard, et, de Catulle Mendès, Le Mystère du Lotus, Le Dialogue d’Yama et d’Yami, L’Enfant Krichna, Kamadéva ; que, au Parnasse de 1869, figurent Le Rishi de Louis Ménard, surtout Le Disciple, ce bijou hindou : Catulle Mendès, sur l’indication bien probablement de Leconte de Lisle, a trouvé dans Bumouf la traduction du dialogue de Bhâgavat et de Pûrna : « si les hommes de Crônâparânta, ô seigneur, m’adressent en face des paroles méchantes, grossières et insolentes, s’ils se mettent en colère contre moi et qu’ils m’injurient, voici ce que je penserai de cela : Ce sont certainement des hommes bons que les Crônâparântakas, ce sont des hommes doux, ceux qui m’adressent en face des paroles méchantes, grossières et insolentes, eux qui se mettent en colère contre moi, et qui m’injurient, mais qui ne me frappent ni de la main ni à coups de pierres[2] ». De cette gangue le disciple de Leconte de Lisle tire cette jolie chose :


Si ces peuples, répond le Bouddha vénérable,
T’outragent, ô disciple aimé, que diras-tu ?
— Ces peuples sont doués, dirai-je, de vertu,
Car ils n’ont point jeté de sable à mes paupières,
Et, doux, ne m’ont frappé ni des mains, ni des pierres[3].


  1. Poèmes Antiques, p. 47.
  2. Burnouf, Introduction, p. 253.
  3. Parnasse, p. 84.