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HISTOIRE DU PARNASSE


Tel l’espace enflammé brûle sous les cieux clairs ;
Mais, tandis que tout dort aux mornes solitudes,
Les éléphants rugueux, voyageurs lents et rudes,
Vont au pays natal à travers les déserts[1].


Pour cadre à ses peintures, il donne aussi la montagne immense dominant les plaines et les monts :


Par delà l’escalier des roides Cordilières,
Par delà les brouillards hantés des aigles noirs,
Plus haut que les sommets creusés en entonnoirs,
Où bout le flux sanglant des laves familières,
L’envergure pendante et rouge par endroits,
Le vaste oiseau tout plein d’une morne indolence,
Regarde l’Amérique et l’espace en silence,
Et le sombre soleil qui meurt dans ses yeux froids.
La nuit roule de l’Est, où les pampas sauvages
Sous les monts étagés s’élargissent sans fin[2].


Pour théâtre de ses poèmes il choisit parfois encore la mer, tantôt somnolente et tantôt furieuse[3]. Ces descriptions, qui sont splendides, sont faites avec ses souvenirs, directs ou transposés, avec les émotions que lui suggère sa mémoire ; cet impassible fait, d’un souvenir de sa jeuïiesse amoureuse, la plus délicieuse élégie que l’on connaisse, en l’honneur de Marie Élixenore de Lanux : « le Manchy, dit Baudelaire, est un chef-d’œuvre hors ligne, dont aucune beauté méridionale, grecque, italienne ou espagnole, ne peut donner l’analogue[4] ». Quelques touches de couleur locale ravivent les teintes de cette aquarelle que Louis Leloir seul eût pu rendre avec son pinceau :


Le long de la chaussée et des varangues basses
        Qù les vieux créoles fumaient,
Par les groupes joyeux des noirs, ils s’animaient
        Au bruit des bobres Madécasses.


Le Cafre, qui est le musicien de l’île Bourbon, une fois libéré de son travail, chante, assis devant sa case, pour charmer sa compagne ; son chant est triste à pleurer, ou fort comme l’espérance. Il s’accompagne d’un instrument primitif et mystérieux, le bobre[5]. Avec le

  1. Poèmes Barbares, p. 182.
  2. Poèmes Barbares, p. 192.
  3. Poèmes Tragiques, p. 121-126.
  4. Œuvres, III, 391 ; cf. Foucque, Revue, 1928, p. 369-381 ; Vianey, Revue des Cours, 30 mai 1926, p. 336-364.
  5. Maillard, Notes sur l’île de la Réunion, p. 317.