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LE PARNASSE

strophe deux idées qui se suivent, unies, mais non mélangées. Les deux derniers vers de la strophe disent une autre pensée que les deux premiers, et ces deux sens doivent se suivre d’un bout à l’autre de la pièce, comme une tresse de soie de deux tons différents. D’autres, tel Banville, ont pu réussir le retour des rimes : seul Leconte de Lisle a su rapprocher les deux, inspirations qui se pénètrent, se séparent, et se réunissent à nouveau : ainsi les huit strophes du deuxième pantoum :


Voici des perles de Mascate
Pour ton beau col, ô mon amour !
Un sang frais ruisselle, écarlate,
Sur le pont du blême Giaour.

Pour ton beau col, ô mon amour,
Pour ta peau ferme, lisse et brune !
Sur le pont du blême Giaour
Des yeux morts regardent la lune…

Je t’aime, étoile de ma vie,
Rayon de l’aube, astre du soir !
Notre fureur est assouvie,
Le Giaour s’enfonce au flot noir.

Rayon de l’aube, astre du soir,
Dans mon cœur ta lumière éclate !
Le Giaour s’enfonce au flot noir !
Voici des perles de Mascate[1] !


La réussite est telle que l’effort semble disparaître, mais on devine tout de même une tension à faire casser les cordes de la lyre. L’effort matériel est moindre, et le charme poétique est plus attrayant, dans cette espèce de pantoum affranchi de lois trop rigoureuses, qu’il a intitulé La Vérandah, avec ses cinq strophes lourdes de parfum, dont voici la première et la dernière :


Au tintement de l’eau dans les porphyres roux
Les rosiers de l’Iran mêlent leurs frais murmures,
Et les ramiers rêveurs leurs roucoulements doux.
Tandis que l’oiseau grêle et le frelon jaloux,
Sifflant et bourdonnant, mordent les figues mûres,
Les rosiers de l’Iran mêlent leurs frais murmures
Au tintement de l’eau dans les porphyres roux…


  1. Poèmes Tragiques, p. 45.