Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/288

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224
HISTOIRE DU PARNASSE

joli croquis : « sa gentille petite femme, vive et gaie, était autour de lui comme un petit oiseau des îles prêt à se blottir à la moindre alerte sous sa vaste envergure, et il avait coutume de l’appeler — Mon enfant[1] ! » Dans leur intimité, il écrit pour elle de courts billets en vers où il lui dit sa tendresse :


Tes beaux yeux sont un double éclair,
Et sur la pourpre de ta joue
Les tresses que ta main dénoue
Comme des fleurs embaument l’air ;
Mais tes yeux noirs ont moins de flamme
Sous le velours de tes cils bruns,
Et tes cheveux moins de parfums
Que tu n’as de trésors dans l’âme[2].


Tels sont les maîtres de la maison, recevant les élus dans un salon où nul ne songerait à s’émanciper. Au début, quelques-uns regrettent leur sans-gêne chez Nina de Villars ou chez Mme de Ricard, la liberté des réceptions de Catulle Mendès ; certains, dit Xavier de Ricard, se sentent fascinés par le terrible monocle du Maître, et la menace de sa redoutable ironie[3].

Ricard exagère ; le salon çst hospitalier : le groupe des premiers fidèles est là comme chez lui : Louis Ménard, Jean Marras, Mendès, France, Coppée, Verlaine, Villiers de l’Isle-Adam, Alphonse Lemerre, Dierx, de Gueme ; un peu plus rarement Mallarmé et des Essarts qui professent en province, André Lemoyne, Sully Prudhomme, d’Hervilly, et les deux inséparables, Mérat et Valade ; parfois même Banville[4]. Henry Houssaye est admis, à vingt ans, à cause de son Histoire d’Apelle ; il parle peu, mais avec une douce honnêteté, suivant le mot du Maître[5].

Ce qui fait le charme de cette première société, c’est la complète liberté des conversations, et en même temps leur élévation : l’atmosphère intellectuelle est salubre ; on s’y accoutume à penser noblement, à juger de haut[6]. C’est, dit un des habitués, le salon des hommes, « le salon mâle », si attirant que, chaque samedi, se présentent Catulle Mendès, sa femme, et Marras : chaque fois, ils s’en

  1. Mme Demont-Breton, Les Maisons, II, 144.
  2. Dornis, Essai, p. 183.
  3. Revue (des Revues), Ier février 1902, p. 306.
  4. Ricard, Le Petit Temps, 2 juillet 1899.
  5. Calmettes, p. 295.
  6. Calmettes, p. 147.