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LE PARNASSE

plus romantique, mais encore il revient au classicisme, puisqu’au fond il ne fait que répéter le vers de L’Art poétique :


Avant donc que d’écrire apprenez à penser.


Cette comparaison avec Boileau, bien qu’inattendue, s’impose à quiconque connaît bien son Leconte de Lisle, comme Bairès. Notre poète fait sienne la théorie classique qu’il faut appuyer la poésie sur le réel, mettre en ordre ses pensées, condenser son sujet ; il donne à ses élèves une discipline de l’esprit ; donc il reprend le rôle de Boileau[1]. Un de ses disciples remonte même plus haut, et salue en lui le Malherbe du Parnasse[2]. Soit, mais à condition de ne pas abuser de la formule, et de ne pas diminuer Leconte de Lisle : Malherbe s’imposait tyranniquement à ses élèves, et, pour ainsi dire, s’enseignait lui-même : Leconte de Lisle, au contraire, se refusait à pétrir ses disciples à sa propre ressemblance : Heredia a pu lui rendre ce juste témoignage : « Artiste accompli, il fut un éducateur incomparable, car il avait la faculté si rare de se dédoubler, de se mettre, comme il disait en riant, dans la peau d’un autre ; et toujours il vous donnait, suivant votre nature, le meilleur conseil[3] ». Cette différence essentielle établie, nous pouvons reconnaître que sur certains points les deux maîtres se ressemblent.

Tous deux, dans l’exercice de leur magistère, sont jaloux de leurs prérogatives : « Il n’y a qu’un président ici », disait Malherbe ; Leconte de Lisle témoigne une antipathie marquée à tout professeur éminent, même à celui qui pourrait ouvrir au groupe parnassien un plus large horizon : Gaston Paris, qui vient de soutenir en 1865 sa thèse sur l’Histoire poétique de Charlemagne, a beau être présenté par Sully Prudhomme ; le Maître lui fait comprendre « que les recherches critiques sur le passé de la poésie sont moins intéressantes que la poésie elle-même » ; après quelques soirées, Gaston Paris disparaît du salon[4]. Comme Malherbe, Leconte de Lisle maintient chez ses élèves une discipline exacte, celle, du reste, dont ils sentent eux-mêmes le besoin : « il nous fallait la règle, une règle imposée d’en-haut, avoue Mendès. Cette règle, c’est de Leconte de Lisle que nous la reçûmes[5] ». Comme Malherbe il donne ses con-

  1. Amori, p. 268.
  2. Barrucand, Revue Bleue du 28 juillet 1894, p. 97.
  3. Le Temps du 11 juillet 1898.
  4. Calmettes, p. 270, 275-276.
  5. La Légende du Parnasse, p. 222-223.