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HISTOIRE DU PARNASSE

en particulier le retour à l’hellénisme ; il en trouve la pensée trop condensée, mais il apprécie fort la violence de la déclaration de guerre au romantisme, dans une lettre à Louise Colet : « j’ai lu Leconte ; eh bien, j’aime beaucoup ce gars-là ; il y a un grand souffle ; c’est un pur… Sa préface aurait demandé cent pages de développement, et je la crois fausse d’intention : il ne faut pas revenir à l’antiquité, mais prendre ses procédés… Il y a autre chose dans l’art que la rectitude des lignes et le poli des surfaces… Il y a une belle engueulade aux artistes modernes[1].

En 1864, Leconte de Lisle revient à la charge dans une série d’études critiques publiées dans Le Nain jaune, puis il les réunit, avec un avant-propos qui est une déclaration de principes, et aussi une nouvelle déclaration de guerre : « un vrai poète porte à la majesté de l’art un respect trop pur pour s’inquiéter du silence ou des clameurs du vulgaire, et pour mettre la langue sacrée au service des conceptions viles. Le clairon de l’archange ne se laisse pas emboucher comme une trompette de carrefour. J’étudierai dans cet esprit l’œuvre des poètes contemporains. Je demanderai avant tout à chacun d’eux ses titres d’artiste, certain de rencontrer un penseur et une haute nature morale, mais non comme l’entend la plèbe intellectuelle, là où j’admirerai la puissance, la passion, la grâce, la fantaisie, le sentiment de la nature, et la compréhension métaphysique et historique, le tout réalisé par une facture parfaite, sans laquelle il n’y a rien[2] ». Suivent six études sur Béranger, Lamartine, Hugo, Vigny, Barbier et Baudelaire. Ces morceaux de critique sont des pièces chirurgicales, des préparations pour son cours au Parnasse. Cela rappelle la leçon d’anatomie de Rembrandt. Aucun élève-poète n’a publié ses notes de cours, mais Maurice Barrès a cité quelques fragments de cet enseignement dans son discours de réception : « ce grand poète ne croyait pas que l’art eût pour objet la reproduction de la nature : il nous prêchait qu’il faut transformer en matière poétique les éléments que nous fournit la vie[3] ». — « Une autre de ses maximes, dit encore Barrès, c’était qu’il n’y a pas à distinguer entre le fond et la forme, et que l’art d’écrire c’est l’art même de penser[4] ». Non seulement Leconte de Lisle n’est

  1. Correspondance, II, 199-200.
  2. Derniers Poèmes, p. 236-237.
  3. Journal Officiel du 19 janvier 1907, p. 431.
  4. Barrès, ibid., p. 431 ; cf. Amori et Dolori sacrum, p. 269.