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HISTOIRE DU PARNASSE

voulez-vous ? les vrais poètes sont les bêtes noires de l’humanité. Nous n’y changerons rien. Voilà cette grande dinde protestante de Scherer qui déclare, dans Le Temps, que Bourget imite Baudelaire, et que Baudelaire est un imbécile. Ce même Scherer avait écrit déjà que Molière ne savait pas le français ! Quand je vois ce misérable entrer au Sénat, je vous jure, mon ami, que je me tiens à quatre pour ne pas lui casser les reins[1] ». Il est plus dur encore pour les imitateurs du lyrisme de V. Hugo. Peut-être est-ce Vacquerie qu’il vise, quand il dit que ce lyrisme s’est encanaillé, s’est « encrapulé[2] » ; il a, en effet, sur lui un mot pire encore, et que Sainte-Beuve a jugé digne de figurer dans son armoire aux poisons : « Vacquerie grotesque, et outrant tous les défauts d’une école détestable. Leconte de Lisle… a dit de lui avec une effrayante vérité : — Vacquerie semble né de l’accouplement monstrueux de Hugo et de Gautier[3] ». Sont-ce là gentillesses réservées aux initiés, dans son salon ? En pleine pension Laveur, alors célèbre parce que les poètes et les artistes la fréquentent, il exécute un jour son rival : le pauvre Théodore de Banville avait cru pouvoir se permettre quelques clowneries lyriques en l’honneur du mariage de Napoléon III. Leconte de Lisle l’accable[4]. Est-ce ce jour-là qu’il lança la fameuse définition : Banville ? Une cruche qui se prend pour une amphore[5] ! Fut-elle trouvée dans son salon, et par un autre que lui ? On ne sait, et peu importe, car, si elle est d’un de ses élèves, elle fait honneur à son enseignement : il a appris à ses disciples à être impitoyables.

Inutile d’ajouter qu’il leur aurait ainsi rendu le plus détestable des services, s’il ne leur avait pas également appris à être sévères pour eux-mêmes. Il leur enseigne la moralité de l’art telle qu’il la pratique lui-même, avec stoïcisme : « l’art n’a pas pour mission de changer en or fin le plomb vil des âmes inférieures, de même que toutes les vertus imaginables sont impuissantes à mettre en relief le côté pittoresque, idéal et réel, mystérieux et saisissant, des choses extérieures, de la grandeur et de la misère humaines. L’art est donc l’unique révélateur du beau, et il le révèle uniquement[6] ». Mais

  1. P. p. Ibrovac, p. 144.
  2. Calmettes, p. 170-171.
  3. Cahiers de {{sc|Sainte-Beuve, dans la R. D. D.-M., 15 décembre 1925, p. 800.
  4. Dornis, Essai, p. 101.
  5. Charpentier, Th. de Banville, p. 79.
  6. Derniers Poèmes, p. 272.