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HISTOIRE DU PARNASSE

On discute avec rudesse au Parnasse. Etant à l’âge de l’intolérance, ils sont tranchants ; ils aiment les solutions nettes. Comme leur maître, ils sont Darwiniens, surtout Dierx et Cazalis[1]. L’apport philosophique de Jean Lahor aux conversations du Parnasse doit être considérable, car il s’est initié à la poésie et à la philosophie de l’Allemagne[2]. Les Parnassiens semblent épris de la pensée d’Outre-Rhin, beaucoup plus que les romantiques qui ne savaient pas l’allemand. Ils aiment les vers d’Henri Heine. Valade et Mérat traduisent l’Intermezzo ; Mendès s’en inspire dans Philoméla[3]. Il n’est pas jusqu’à leur théorie de l’art pour l’art qu’on ne pourrait rattacher à la pensée de Gœthe sur la moralité du beau[4]. Seulement nous arrivons ici à une question embarrassante : peut-on dire que les Parnassiens ont eu une philosophie de corps ? M. Canat le croit, et prétend qu’ils ont eu une éthique, qu’elle était desséchante, plus désolante encore que celle de l’École de 1830. D’après lui, le sentiment romantique de la solitude laissait subsister dans le cœur une force qui pouvait être un point d’appui : « il reste encore ce que Mme de Staël appelait dans L’Allemagne « le Sanctuaire intérieur »… Les Parnassiens ont ruiné cet asile intérieur ; ils n’ont rien trouvé en eux de solide[5] ». Si le reproche était vrai, prendrions-nous un si grand plaisir à les lire ? Pour que ce reproche fût vrai, il faudrait qu’il y eût un sentiment parnassien de la solitude ; M. Canat, englobant dans sa conclusion les parnassiens et les romantiques, affirme qu’ils ont connu « toutes les formes de la solitude, P exil dans la société et dans l’humanité, l’indifférence de la nature, l’éloignement des sexes, l’absence de Dieu[6] ». L’absence de Dieu, voilà la seule, vraie solitude : il n’y a pas de solitude pour le chrétien qui dit : « Dieu et moi » ; il y a solitude démoralisante pour celui qui, dans ce binôme, a effacé Dieu. Mais, parmi les Parnassiens, il y avait des chrétiens, des déistes christianisants, et des agnostiques. Il est bien difficile de trouver une formule assez compréhensive pour les englober tous. Les uns chantent la sensualité triomphante, les autres écrivent des vers chastes. Ils n’ont pas une

  1. Noulet, Léon Dierx, p. 143, 203 ; Calmettes, p. 282 ; Rocheblave, Jean Lahor, Œuvres Choisies, p. xiii.
  2. Rocheblave, ibid., p. xii.
  3. J. Charpentier, Mercure de France, 15 mars 1920, p. 597 ; Reynaud, L’influence allemande en France au xviiie et au xixe siècles, p. 206.
  4. Léon Paschal, Esthétique Nouvelle fondée sur la Psychologie du génie, p. 386.
  5. Une Forme du mal du Siècle, p. 272.
  6. Ibid., p. 301.