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LE PARNASSE

morale commune. Brunetière lui-même s’y est trompé : dans un article qui est plein d’erreurs, il veut en faire des naturistes : « M. Catulle Mendès et M. Zola procèdent bien de la même origine ». Soit ; nous pouvons lui abandonner Mendès ; mais Brunetière continue, avec sa coutumière intrépidité : « Parnassiens et Naturalistes travaillent bien à la même œuvre ; ce sont des frères ennemis, mais ce sont bien des frères[1] ». Des ennemis, certainement : nous n’avons pas oublié le mot de Leconte de Lisle sur Zola ; mais en quoi sont-ils des frères ?

Je ne vois guère qu’une idée commune à tous les Parnassiens ; encore cette idée est-elle plutôt une étiquette : « prenant pour Credo la formule de l’art pour l’art, dit Jean Domis, ils s’interdirent la préoccupation de moraliser… L’art est son « but » à soi-même, et ne peut être ravalé au rôle de « moyen ». Quelques-uns allèrent même jusqu’à s’imposer l’impassibilité olympienne[2] ». Que vaut cette étiquette ? Quelque chose, à condition de ne pas exagérer. C’est exagérer que de dire qu’ils ont poussé l’impassibilité jusqu’à ignorer tout autre art que celui du style, jusqu’à mépriser peinture et sculpture[3]. On était pauvre au Parnasse ; on ne pouvait s’offrir ni tableaux, ni marbres, ni bronzes, mais on adorait la musique ; chaque dimanche on se retrouvait chez Pasdelôup, au Cirque d’Hiver, où l’on pouvait entrer pour quinze sous, et les pseudo-impassibles s’y grisaient de musique, surtout les jours de Wagner[4].

En quoi donc consiste leur incontestable effort vers l’impassibilité ? En ce que, se sentant une diathèse romantique, ils veulent se guérir. Ils veulent réagir contre la sensibilité débraillée, qui, pour eux, s’incarne dans Alfred de Musset[5]. Ils s’insurgent aussi contre les Lakistes, qui leur paraissent également avilir le lyrisme : les Parnassiens purs appellent, avec quelque dédain, Coppée « un lakiste de faubourg[6] ». Ils veulent nous faire croire, et peut-être se persuader à eux-mêmes, qu’ils ont réussi à bannir l’émotion de leurs vers ; et, certes, ç’eût été grand dommage, car, observe Remy de Gourmont, « la poésie qui n’émeut pas est bien près de n’être

  1. Histoire et Littérature, II, 230.
  2. R. D. D.-M., 15 mai 1895, p. 330.
  3. Léo Larguier, Nouvelles Littéraires du 7 janvier 1928.
  4. Theuriet, Souvenirs, p. 247.
  5. Gautier, Rapport, p. 299, 364.
  6. Calmettes, p. 172.